Cigarettes électroniques : guerre déclarée entre buralistes et boutiques spécialisées


Avec déjà plus de 1,5 millions d’adeptes en France, la cigarette électronique est au cœur de tous les débats. Son arrivée fracassante n’ayant pas été anticipée, elle constitue encore un ovni juridique dont la commercialisation tarde à être règlementée. Se pose en effet la question de sa qualification juridique : s’agit-il d’un produit de consommation courante qui peut être vendu librement, d’un médicament vendu en pharmacie ou d’un produit du tabac vendu exclusivement dans les bureaux de tabac en raison de leur monopole de vente ?


Rappelons qu’en France, l’Etat bénéficie d’un monopole sur la vente des produits du tabac, monopole délégué aux seuls bureaux de tabac. Justifié par des préoccupations de santé publique, il implique une législation spécifique et sévère : le prix du paquet de cigarette est fixé par l’Etat, aucune vente aux mineurs n’est autorisée, toute publicité est interdite.

Les articles 564 decies du Code Général des impôts et L3511-1 du Code de la santé publique précisent l’étendue de ce monopole.

Sont considérés comme produit du tabac :

« 1°) Les produits destinés à être fumés, prisés ou mâchés, même s’ils ne sont que partiellement constitués de tabac ;

2°) Les cigarettes et produits à fumer, même s’ils ne contiennent pas de tabac, à la seule exclusion des produits qui sont destinés à un usage médicamenteux. »

La cigarette électronique, contrairement à la cigarette traditionnelle, ne contient pas de tabac. Elle produit une vapeur ressemblant visuellement à la fumée produite par la combustion du tabac. Cette vapeur peut être aromatisée (aux arômes de tabac, de fruits, etc.) et contenir ou non de la nicotine. Les cigarettes électroniques sont donc exclues de l’alinéa 1 qui ne vise que les produits constitués de tabac.

La cigarette électronique pourrait alors être visée par l’alinéa 2 qui vise les cigarettes et produits à fumer, même s’ils ne contiennent pas de tabac. Cet alinéa prévoit cependant une exception au monopole étatique concernant les produits qui ont un usage médicamenteux.

Cet usage a néanmoins été écarté par les députés européens le 8 octobre 2013.

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Le Tribunal de Commerce de Toulouse dans un arrêt rendu le 9 décembre 2013, opposant un buraliste à une boutique spécialisée dans la vente de cigarettes électroniques, considère alors que les cigarettes électroniques sont visées par l’alinéa 2. Elles sont assimilables au produit du tabac et à ce titre ne peuvent être vendues qu’en bureaux de tabac.

Dans cette hypothèse, la publicité pour la cigarette électronique est également interdite comme le prévoit l’article L3511-3 du Code de la santé publique qui prohibe « la publicité ou la propagande directe ou indirecte en faveur du tabac ou produit du tabac ou assimilés ».

Les juges du fond donnent donc raison au buraliste et admettent que le vendeur de cigarettes électroniques se voie interdire la publicité comme la commercialisation de ces dernières. Ce jugement s’inscrit dans le sens des propositions de la Ministre de la santé Marisol Tourraine. Elle avait déclaré en mai 2013 que « la cigarette électronique n’est pas un produit banal » et que devaient alors lui être appliquées « les mêmes mesures que celles pour le tabac ».

Cependant, les avocats de la défense considèrent que la cigarette électronique est un produit de consommation courante et non un produit du tabac. Selon eux, les juges du fond interprètent de manière extensive les textes susmentionnés relatifs au monopole des bureaux de tabac.

En ce sens, la publicité ne devrait pas être interdite puisqu’il ne s’agirait pas de publicité au profit du tabac mais qu’au contraire elle aurait pour objectif de « détourner les fumeurs classiques du tabac classique. 

Le débat reste entier puisque le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Toulouse a fait l’objet d’un appel à l’effet suspensif.

 Les bureaux de tabac espèrent beaucoup de cette décision. Etranglés par l’augmentation du prix des cigarettes (nouvelle augmentation de 20 centimes par paquet le 13 janvier 2014), ils voient dans la cigarette électronique une véritable aubaine commerciale. Les boutiques spécialisées seraient quant à elles obligées de mettre la clé sous la porte si cette décision était confirmée par la suite.

 Audrey Hourse

 

POUR EN SAVOIR PLUS :

T. com. Toulouse, 9 décembre 2013, n°2013J01206

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