Alain GHOZI
Professeur émérite à l’université Panthéon-Assas
Ancien directeur du CIO de l’université
Choisir un master 2 dans les disciplines juridiques impose de répondre à plusieurs types de questions, légitimement : faut – il préférer une formation par la recherche – master recherche – ou un cursus au caractère professionnel marqué – mastère professionnel -? Une fois cet aspect clarifié, on rencontre une nouvelle alternative, illustrée par notre exemple tiré des difficultés de choisir en droit des affaires : quel particularisme pourrait conduire à s’éloigner du droit privé général pour choisir entre les différentes spécialisations ? Bref, comment choisir entre les spécialisations à l’intérieur d’un même domaine ; quel droit pour quelles affaires dans notre exemple ?
Master recherche ou master professionnel
Le droit est une science qui se rapproche de la médecine en ce qu’il n’est pas possible de distinguer entre théorie et pratique : ce qu’on dénomme théorie recouvre le plus souvent un effort de systématisation de solutions acquises afin d’en faciliter la connaissance, pour mieux les appliquer ensuite à d’autres situations qui pourraient apparaître ; ou encore, il s’agit d’identifier dans la vie sociale, un problème nouveau et de rechercher comment le régler en droit par les raisonnements établis ou à imaginer à partir de ceux qui sont acquis. Chaque fois la dimension pratique irrigue la réflexion et réciproquement : il n’existe pas de formation sérieuse à caractère professionnel qui puisse escamoter l’enracinement des solutions dans des raisonnements qui plongent leurs racines dans tous les grandes branches de notre système juridique : la famille, les obligations, les biens, les garanties, avec, désormais, qui traversent toutes ces matières, les sources du droit tant elles évoluent rapidement de nos jours. «Rien n’est plus pratique qu’une bonne théorie »: telle est la réflexion partagée par tant de grands savants qu’on ne sait plus à qui l’attribuer d’ Alfred Einstein, du mathématicien Henri Poincaré ou du psychologue américain Kurt Lewin. Ce constat vaut pour le droit.
La distinction entre le master recherche et le master professionnel peut toutefois apparaître dans la manière d’aborder les questions : dans le premier, l’étudiant, par le mémoire notamment, est conduit à rechercher comment une solution a pu être dégagée de sorte qu’il sera à même de déduire s’il est aisé de l’appliquer à une situation nouvelle alors que dans la seconde catégorie, l’on partira plutôt des solutions acquises pour s’entraîner à les appliquer au mieux à leurs différents domaines d’application dans la vie professionnelle. La recherche conduit à de nombreuses lectures à même de découvrir débats, opinions et, raison d’être des solutions. Il est alors plus aisé de savoir à quel type de situations il y a lieu de les appliquer ou non. Préférer les cursus au caractère professionnel plus marqué traduit une préférence pour l’étude de cas pratiques, souvent fort complexes, afin d’identifier la solution applicable. C’est pour cela que les professionnels interviennent plus nombreux dans les masters professionnels : nourris par leur expérience, ils présentent ces cas pratiques et contrôlent la mise en œuvre de la solution adaptée.
Dans chacun de ces types de master, il ne s’agit pas, contrairement au discours convenu, d’obtenir un « Bac + 5 » mais d’une année particulière en ce que l’étudiant va reprendre des pans entiers de ce qu’il a étudié pendant les quatre premières années de ses études, donc de ce qu’il est censé savoir, pour reconstituer l’unité du droit alors que des raisons pédagogiques ont conduit à la décomposer en sortes de tranches découpées par le programme de chacune des années d’étude ; l’étudiant découvre que toutes les questions s’imbriquent les unes dans les autres au point que résoudre une difficulté dépend en grande partie de l’art de coordonner les connaissances puisées dans les différentes branches du droit : par exemple, s’interroger sur l’objet du contrat – un sportif de grande notoriété envisage de vendre son image en plein effort pour accroitre ses revenus – peut renvoyer à une réflexion propre au droit de la propriété intellectuelle – l’image est-elle un bien ? – , qui elle même peut renvoyer au droit des biens pour vérifier qu’elle peut effectivement constituer l’objet de l’obligation – ce bien est – il transmissible à titre onéreux ou les droits de la personnalité y font – ils obstacle – ? C’est ce qu’on dénomme l’unité de la législation civile. Les employeurs, tous les employeurs, vérifient que le cursus présenté dans le CV comporte la reprise des matières fondamentales du droit privé et leur coordination. À ce stade, choisir entre un master recherche et un master professionnel conduit à une certitude : en droit la recherche ne peut pas être détachée de l’application pratique ; et l’application pratique, qui correspond à des personnalités plus intéressées par le seul aspect concret des questions de droit, ne peut être séparée d’une solide culture dans les matières fondamentales. Dès lors la distinction entre le master recherche et le master professionnel dépend davantage des disciplines enseignées dans les cursus et de la manière de les traiter. L’étudiant doit procéder à l’étude minutieuse des maquettes des cursus avant de se déterminer ; il doit aussi choisir en fonction de ses goûts personnels : préfère-t-il s’interroger sur les raisons qui conduisent à une solution ou plutôt à l’application concrète de solutions acquises ?
Le choix est plus complexe encore lorsque des spécialités en grand nombre existent dans un domaine particulier, le droit des affaires par exemple.
Quelle spécialité en droit des affaires ?
Le droit privé général confère une formation de haut niveau sur les matières qui irriguent toute activité relevant du droit privé : droit de la famille, droit des obligations, droit des régimes matrimoniaux et des biens. Il peut suffire pour maîtriser le droit des affaires, tant la matière contractuelle, qu’on ne peut séparer des garanties du paiement, est importante dans la vie des affaires.
Toutefois certains étudiants peuvent marquer leur préférence pour des facettes particulières des activités professionnelles : c’est un goût que des stages ou des cours spécialisés peuvent avoir révélé ou conforté. Alors une nouvelle difficulté doit être surmontée : le droit pour quelles affaires ? Il leur faut alors choisir un cursus où sont approfondies des questions propres à ce domaine de l’activité.
S’il n’est pas utile ici de reprendre le débat connu sur la définition du droit des affaires, il faut cependant avoir à l’esprit qu’il n’est plus seulement le droit commercial, dans son approche limitative ; il appréhende désormais, du fait de l’évolution de la vie économique, tous les supports juridiques de la vie de l’entreprise, indépendamment de sa taille : l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée vaut autant, de ce point de vue, que la compagnie multinationale dont les titres sont cotées sur les marchés boursiers. En se mettant à la place du chef de l’entreprise, ou de son avocat, ce qui revient au même ici, on identifie les domaines des connaissances requises : constitution de la société et rapports avec les associés par le droit des sociétés, gestion du personnel par le droit du travail, relations avec les clients par le droit des contrats et des garanties, protection des fabrications et innovations par le droit des brevets, dessins et modèles, financement de l’activité par le droit financier, le droit de la banque et de la bourse selon la taille de l’entreprise, droit du commerce international ou seulement européen pour qui exporte (ou importe), relations avec les collectivités publiques pour leurs investissements par le droit public des affaires et, en bonne stratégie, prévention des risques de l’échec par le droit des procédures collectives, notamment.
À ce stade une nouvelle architecture se dessine : il y a des formations qui permettent de reprendre toutes les matières de base de toute l’activité économique : ce sont les formations générales au droit des affaires ; on y reprend tant la matière des contrats, que le droit des groupements ou le droit social ou le droit fiscal, notamment. On les retrouve tant en master recherche qu’en master professionnel, avec la différence d’approche rappelée plus haut. D’autres ne couvrent qu’une activité particulière, fortement spécialisée par les besoins du marché : droit de la concurrence, ou, autre exemple, droit bancaire et de la bourse, ou encore droit fiscal, droit des brevets et des dessins et modèles, voire droit social dont on ne peut nier qu’il participe intensément de la vie de l’entreprise, ou encore droit public de l’économie et d’autres encore. Le choix entre elles dépend principalement de l’attrait que certaines professions exercent sur le candidat. Une fois encore, le stage ou l’intérêt pour certains cours, les deux ensemble le plus souvent permettent de s’assurer du choix de la spécialité envisagée. Avec une règle d’or : dans le doute il faut toujours préférer une formation générale pour ne s’orienter vers une formation étroite qu’autant que le goût pour le métier vers lequel elle conduit est certain. Et lorsqu’on hésite encore, il faut préférer celle des formations générales qui ouvre, au titre des options, un ou des cours, sur la ou les spécialités étroites envisagée sans certitude affirmée : par exemple, tel qui doute encore de son goût pour le droit fiscal ou le droit social fera mieux de préférer un cursus général en droit des affaires offrant du droit fiscal ou du droit social au titre des options.
Souvent des candidats découvrent sur le tard celles des matières du deuxième cycle qui les auraient guidés vers le master de leur préférence : il s’impose de préparer le choix du M2 le plus tôt possible, en se renseignant dès l’accès à la troisième année de la licence sur les matières ouvertes en option et leurs conséquences sur l’accès au master 2. L’accès au master 2 se prépare dès la troisième année de licence, le plus souvent. Renseignez vous auprès du CIO