Chasse aux dispositifs dérogatoires infondés : la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés abattue en plein vol

Le 27 juin 2016, le Conseil d’Etat transmit une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel concernant la conformité de la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés[i], ainsi qu’une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union européenne, portant sur l’existence même d’un tel impôt[ii].

La taxation des dividendes dans un contexte européen donne une fois de plus matière à débattre. Effectivement, la question de la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés n’est pas sans rappeler la décision du Conseil constitutionnel en date du 3 février 2016, portant sur la conformité de l’article 145 du Code général des impôts à la Constitution (affaire Société Métro Holding[iii]). Il avait déclaré le « b ter du 6 » de l’article susmentionné contraire à la Constitution en ce qu’il opérait une rupture d’égalité devant la loi et devant les charges publiques. Par la suite, il a mis fin, le 8 juillet 2016, au contentieux qui persistait sur la nature que devait revêtir la participation d’une société mère dans sa filiale afin de rétablir l’équité issue des exigences européennes (affaire Natixis[iv]).

Bien que l’article 145 du Code général des impôts ne soit encore guère très loin, c’est désormais l’article 235 ter ZCA de ce même Code qui fait parler de lui.

L’article litigieux fut créé par la loi n°2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, qui institua la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés de 3% portant sur les revenus distribués au sens des articles 109 à 117 du Code général des impôts, c’est-à-dire – principalement mais pas seulement – les dividendes. Cet impôt, aujourd’hui encore en vigueur, s’applique à la société distributrice, id est celle qui verse les dividendes. Il rentre dans la catégorie des impôts autonomes mais complémentaire de l’impôt sur les sociétés, au même titre que la contribution sociale et la contribution exceptionnelle.

En l’espèce, quatre sociétés contestèrent cette contribution additionnelle de 3%. Le Conseil d’Etat décida de répondre à leurs requêtes le même jour, soit le 27 juin 2016. Nous nous intéresserons plus précisément au cas de la société Layher[v].

La société allemande Layher International GmbH détient la totalité du capital social de la société par actions simplifiée (SAS) française dénommée Layher, qui elle-même possède l’entier capital social de la société à responsabilité limitée (SARL) française Layher Formation. Ces sociétés bénéficient du régime fiscal dit mère-fille.

D’abord, durant l’exercice clos le 31 mars 2014, la SARL Layher Formation versa des dividendes à la SAS Layher pour un montant total de 120.000 €. Soumise à l’article 235 ter ZCA du Code général des impôts, elle dut s’acquitter de la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés de 3%. Concrètement, elle a payé 3% des 120.000 € versés, ce qui représente 3.600 €. Parallèlement, la SAS Layher, en percevant les dividendes de la SARL Layher Formation, a déduit fiscalement 120.000 € en vertu de l’article 145 du Code général des impôts, mais a dû réintégrer une quote-part de 5% au titre de l’impôt sur les sociétés, en vertu de l’article 216 de ce même Code, ce qui représente la somme de 6.000 €. Puis, durant les exercices clos en 2012, 2013, et 2014, la SAS Layher versa environ 18 333 333 € de dividendes à la société mère allemande Layher International GmbH, et dut à ce titre payer 550.000 € au titre de la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés.

Du fait que ce groupe de sociétés ait appliqué le régime mère-fille, il doit s’acquitter de la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés de 3%, et en plus il doit déduire 100% puis réintégrer fiscalement 5% des dividendes perçus. C’est à ce niveau-là que le débat soulevé par la SAS Layher fait jour.

En effet, ce qui est contesté ici, c’est que la société qui bénéficie du régime mère-fille se verra soumise aux impositions développées supra, alors que, en opposition directe avec le principe d’équité, la société qui aura opté pour le régime de l’intégration fiscale se verra exonérée de plein droit du paiement de ces impôts, eu égard à l’article 235 ter ZCA du Code général des impôts – bien qu’une quote-part de 1% devra être réintégrée fiscalement lors de la distribution, conformément à l’article 216 alinéa 2 du Code général des impôts, à la suite à l’arrêt Société Stéria[vi] –.

Cette différence de traitement pourrait ne soulever aucune contestation si le bénéfice de l’un ou l’autre des régimes précédemment évoqués n’était soumis qu’à un choix discrétionnaire de la société redevable. Cependant, la difficulté est la suivante : afin de pouvoir opter pour le régime de l’intégration fiscale, qui est plus avantageux en l’espèce, il faut remplir plusieurs conditions cumulatives. Parmi ces conditions, il faut notamment que la société dite « tête de groupe », en l’espèce la société Layher International GmbH, détienne les autres, ses filiales, à au moins 95% du capital social, et qu’elle ne soit pas elle-même détenue à au moins 95% du capital social par une autre société. Cette condition est remplie en l’espèce. Il faut en outre que la société soit fiscalement soumise à l’impôt sur les sociétés en France. La société Layher International GmbH étant établie en Allemagne, elle n’est donc pas soumise à l’impôt sur les sociétés en France, donc en l’espèce, cette condition fait défaut. En d’autres termes, toutes les conditions du régime de l’intégration fiscale sont remplies, à l’exception de celle tenant à la territorialité. Or cette différence de traitement, en raison du lieu d’établissement de la société, se place en totale opposition avec une règle bien connue en droit européen : la liberté d’établissement d’une société – article 49 du Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne, ci-après TFUE –.

Dès lors, le fait de réserver l’exonération de la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés de 3% aux seules sociétés bénéficiant du régime de l’intégration fiscale ne méconnaîtrait-il point les principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques, ainsi que les libertés fondamentales garanties par le Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne ?

Au surplus, l’article 4 de la directive 2011/96/UE du Conseil du 30 novembre 2011 s’oppose-t-il à une imposition telle que celle prévue à l’article 235 ter ZCA du code général des impôts, qui est perçue à l’occasion de la distribution de bénéfices par une société passible de l’impôt sur les sociétés en France et dont l’assiette est constituée par les montants distribués ?

Bien que la réponse à la question préjudicielle devant la Cour de justice de l’Union européenne soit toujours attendue (II), le Conseil constitutionnel, lui, s’est déjà prononcé, en jugeant que l’exonération prévue par l’article 235 ter ZCA du Code général des impôts aux seules sociétés fiscalement intégrées est contraire à la Constitution (I).

schéma

 

I L’inconstitutionnalité de la limitation de l’exonération de la contribution additionnelle de 3% aux seuls groupes fiscalement intégrés

À la suite de la décision Société Metro Holding France SA, d’aucuns affirmèrent que « la chasse aux dispositifs dérogatoires  infondés est ouverte », et prédirent que l’exonération de la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés vivait ses derniers instants[i]. Ils virent juste. Effectivement, après avoir reçu la QPC (A), le Conseil constitutionnel rendit une décision le 30 septembre 2016 selon laquelle les mots « entre sociétés du même groupe au sens de l’article 223 A » du Code général des impôts sont contraires à la Constitution[ii] (B), et de nouvelles interrogations se firent jour (C).

A) La recevabilité de la QPC : une transmission attendue

Avant toute chose, il convient de s’intéresser à la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité. À ce titre, soulignons le fait que le Conseil constitutionnel se prononça par le passé sur la loi de finances rectificative pour 2012[iii], mais qu’il n’examina jamais de façon spécifique son article 6, qui, pour rappel, institua la contribution additionnelle de 3%. La question prioritaire de constitutionnalité déposée par le groupe Layher portait donc sur une disposition n’ayant jamais été déclarée conforme à la Constitution, par ailleurs applicable au litige, et présenta un caractère sérieux. C’est donc à juste titre que le Conseil d’État la transmit, l’intégralité des conditions de l’article 61-1 de la Constitution étant remplie.

B) L’inconstitutionnalité de l’exonération de la contribution de 3%

Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le principe d’égalité devant la loi ne s’oppose pas à une différence de traitement des justiciables dès lors que, soit la situation est différente, soit la loi poursuit un motif d’intérêt général[iv]. Ainsi, lors de l’étude de la QPC présentée devant lui, le Conseil Constitutionnel va développer un raisonnement en deux temps. Dans un premier temps, il va rechercher s’il existe un élément objectif de nature à justifier la différence de traitement. Si cet élément objectif fait défaut, il va dans un second temps rechercher s’il n’existe pas un intérêt général suprême justifiant la discrimination.

Le Conseil d’État estime qu’il existe une différence de situation selon que le groupe de sociétés opte ou non pour le régime de l’intégration fiscale, dès lors qu’il en a la possibilité et qu’il remplit donc toutes les conditions y afférentes[v]. En revanche, peut-on affirmer qu’il y a une différence de situation de nature à autoriser une différence de traitement, dès lors que le groupe de sociétés souhaiterait opter pour le régime de l’intégration fiscale, mais qu’il ne le peut point, car, comme en l’espèce, toutes les conditions sont remplies, excepté celle relative à la territorialité de l’impôt sur les sociétés, et donc à la localisation de la société en France ? Nullement, et c’est ce que soutient le Conseil constitutionnel dans son considérant 7, en affirmant qu’il « en résulte, lorsque la condition de détention est satisfaite [c’est-à-dire une détention de 95% du capital d’une société], une différence de traitement entre les sociétés d’un même groupe qui réalisent, en son sein, des distributions, selon que ce groupe relève ou non du régime de l’intégration fiscale ». Par ailleurs, le Conseil constitutionnel avait déjà jugé que l’appartenance à un groupe fiscalement intégré ne constitue pas un élément objectif de nature à fonder une divergence de traitement fiscal (affaire Next radio[vi])

Par surcroît, le Conseil constitutionnel précise que la contribution additionnelle de 3% est autonome de l’impôt sur les sociétés, notamment car son assiette est différente. En effet, la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés a pour assiette les revenus distribués, et non les résultats de l’entreprise. Il importe peu que l’entreprise ait un résultat bénéficiaire ou déficitaire, elle sera quand même taxée, alors que la logique est différente concernant l’impôt sur les sociétés. Que le groupe soit fiscalement intégré ou non, il est donc normalement concerné par la contribution additionnelle de 3%.

En conséquence, le Conseil constitutionnel juge que la différence de traitement résultant de l’exonération réservée aux seuls groupes fiscalement intégrés ne peut être justifiée par une différence de situations.

Il restait alors à chercher l’existence de motifs d’intérêt général. À la suite d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne[vii], la retenue à la source de 30% sur les organismes de placement collectif en valeurs mobilières non-résidents fut supprimée. Il revenait donc au Gouvernement français de compenser ce manque à gagner, estimé à un milliard d’euros. C’est pourquoi la contribution additionnelle de 3% fut créée, avec un objectif de rendement. D’ailleurs, cet objectif a largement été atteint, puisqu’en 2015, la contribution additionnelle de 3% a rapporté deux milliards d’euros à l’État français. Mais l’impôt susmentionné a également un second objectif, savoir un objectif de comportement : la contribution additionnelle de 3% sert à dissuader la rémunération des actionnaires, et incite donc les sociétés à réinvestir leur argent. Dans la décision sous commentaire, au considérant 9, le Conseil constitutionnel mentionne l’objectif de rendement, mais fait fi de celui de comportement. Le commentaire officiel de la décision précise que le législateur n’est pas autorisé à poursuivre plusieurs objectifs simultanément, le Conseil constitutionnel condamnant une telle pratique. Celui-ci rechercha donc, entre ces deux objectifs, de rendement et de comportement, lequel était prépondérant pour le législateur. Vraisemblablement, il s’agissait de l’objectif de rendement, puisque c’est avant tout pour compenser un manque à gagner à la suite d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne qu’il a été question de créer la contribution additionnelle de 3%. En outre, le contrôle de l’objectif de comportement est malaisé, un tel objectif pouvant sans peine permettre au législateur de déroger au principe d’égalité, raison pour laquelle le Conseil constitutionnel a déjà pu juger que cela n’est point de nature à justifier une différence de traitement[viii]. Il poursuit et conclut que l’objectif de rendement « ne constitue pas, en lui-même, une raison d’intérêt général de nature à justifier, lorsque la condition de détention [de 95% du capital social] est satisfaite, la différence de traitement instituée entre les sociétés d’un même groupe réalisant, en son sein, des distributions, selon que ce groupe relève ou non du régime de l’intégration fiscale ». L’objectif de rendement est donc avéré, mais d’après le Conseil constitutionnel, celui-là n’est pas toujours de nature à justifier une différence de traitement. En l’espèce, le principe d’égalité prévaut donc sur les motifs d’intérêt général de rendement.

Il est notable qu’à l’origine, le projet de loi du Gouvernement ne prévoyait pas une exonération pour les groupes fiscalement intégrés, mais simplement pour ceux ayant opté pour le régime mère-fille, le seuil de détention requis étant cependant légèrement supérieur au régime mère-fille de droit commun, puisqu’il était de 10%. C’est un amendement de Monsieur ECKERT qui restreignit l’exonération de la contribution additionnelle de 3% aux seuls groupes fiscalement intégrés.

En somme, dans la décision sous commentaire, à l’inverse de la décision Société Metro Holding France SA, il ne s’agit pas d’une discrimination à rebours, id est d’une discrimination à l’égard des sociétés françaises, mais d’une discrimination à l’endroit des sociétés européennes. Il est vraisemblable que la Cour de Justice de l’Union européenne sanctionnerait cette différence de traitement injustifiée. Bien qu’il n’exerce pas un contrôle de conventionalité[ix], et qu’en l’occurrence il fut bien saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité visant à ce que soit examinée la conformité d’une loi française à la Constitution, il est indéniable que le droit européen a eu une certaine influence dans la décision rendue. Le Conseil constitutionnel aurait, à notre sens, adopté un raisonnement identique à celui de la décision Société Metro Holding France SA, en contrôlant « au regard du principe d’égalité un régime juridique résultant de la volonté du législateur national et un régime juridique découlant de l’application du droit communautaire », comme l’affirma le commentaire officiel de la décision citée. N’omettons pas que la directive n°2015/121/UE dite mère-fille, en date du 27 janvier 2015, a pour dessein d’éviter la double imposition économique de la remontée des dividendes des filiales jusqu’à la société mère, lorsque lesdites sociétés sont situées dans des Etats différents.

Les avocats du groupe Layher soutinrent que les mots « entre sociétés de même groupe » ne posèrent guère de difficulté. Seuls les termes « au sens de l’article 223 A » durent être déclarés inconstitutionnels. Dans le cas contraire, l’exonération devrait bénéficier à tous les groupes bénéficiant du régime fiscal mère-fille, dès lors que la société mère détient au moins 10% du capital social d’une filiale.

Le Conseil constitutionnel déclara l’ensemble des mots « entre sociétés du même groupe au sens de l’article 223 A » du Code général des impôts contraires à la Constitution. Vraisemblablement, comme le souhaitèrent les avocats du groupe Layher, l’exonération de la contribution additionnelle de 3% aurait dû voir son périmètre élargi, puisqu’il n’est guère nouveau que « la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité », comme le rappelle le Conseil constitutionnel au considérant 11. Mais il précise que cela ne vaut qu’en « principe ». Dans la décision QPC Layher, le Conseil constitutionnel juge au contraire que la déclaration d’inconstitutionnalité a pour effet, en l’espèce, « d’étendre l’application d’un impôt à des personnes qui en ont été exonérées par le législateur ». Autrement dit, les groupes fiscalement intégrés, au sens de l’article 223 A du Code général des impôts donc, qui bénéficiaient de l’exonération de la contribution additionnelle de 3%, ne sont plus, à la suite de la décision sous commentaire, exonérés. La question prioritaire de constitutionnalité a donc eu pour effet d’étendre le paiement de l’impôt à davantage de personnes. Nous nous réjouissons du fait qu’il n’y ait plus d’atteinte au principe d’égalité devant la loi, mais cette situation est pour le moins surprenante… Quid de l’objectif de la directive européenne, visant à interdire la double imposition économique ? Le Conseil constitutionnel aurait pu prendre cet objectif en compte, afin de faire bénéficier l’exonération aux groupes de sociétés ayant opté pour le régime mère-fille.

Quoi qu’il en soit, la décision ne produira ses effets que le 1er janvier 2017, ce qui laisse le temps au législateur de réagir.

C) La transition : de nombreuses interrogations en suspens

Le terme de période de transition peut être utilisé dans la mesure où la décision du Conseil constitutionnel ne peut pas s’appliquer immédiatement. En effet, l’exonération est une disposition favorable pour certains contribuables, ainsi l’abrogation immédiate est impossible. C’est pour cela que celle-ci ne prendra effet qu’au premier janvier 2017, pour ainsi laisser le temps au législateur de réagir. Ainsi verrons-nous d’abord les enjeux de la décision pour les sociétés (1) puis les enjeux pour l’Administration fiscale (2).

1 – L’opportunité de la décision eu égard aux sociétés

En la matière, deux hypothèses peuvent être soulevées. D’un côté, comment les sociétés exonérées de l’imposition doivent-elles réagir face à cette période de « flou » fiscal ? Mais aussi, d’un autre côté, est-il possible pour les sociétés qui n’étaient pas exonérées de la contribution additionnelle de demander la restitution de la contribution acquittée ?

Pour ce qui est des sociétés qui étaient jusque-là exonérées, il ne serait pas inopportun de procéder à une distribution massive de dividendes aux actionnaires afin d’éviter une future imposition de ces revenus. En effet, face à un « flou » fiscal il est toujours plus raisonnable de vivre le moment présent et de ne pas parier sur l’avenir. Cependant, l’abus de droit n’est jamais très loin. Ce standard juridique est difficilement définissable dans la mesure où c’est une notion nébuleuse permettant à l’Administration fiscale de rattraper et de sanctionner des comportements déviants[x]. La loi du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 est venu modifier l’article L64 du livre de procédures fiscale pour y consacrer la jurisprudence du Conseil d’Etat[xi]. Depui, l’abus de droit fiscal s’entend de l’acte fictif ou déguisé ainsi que de la fraude à la loi. Il y a fraude à la loi lorsque l’opération réalisée par le contribuable va à l’encontre des objectifs poursuivis par le législateur ou le juge, et qu’elle n’a aucun intérêt économique mais un but exclusivement fiscal[xii].

En l’espèce, on serait dans l’hypothèse de la fraude à la loi. En effet, il s’agirait ici pour l’entreprise actuellement exonérée d’éviter une éventuelle soumission à la contribution, et il est évident que l’intérêt serait exclusivement fiscal. Or, il faut savoir que les enjeux sont lourds dans la mesure où la fraude à la loi est sanctionnée de manière très importante. L’article 1729 b du Code général des impôts prévoit deux majorations potentielles aux sommes qui aurait dû être versées, à savoir :

  • 40% dès lors qu’il y a abus de droit.
  • 80% si le redevable en est l’instigateur ou le bénéficiaire principal.

Face à une telle note, on ne sait plus trop si le risque est bon à prendre. Avis aux téméraires, l’enjeu en vaut-il vraiment la chandelle ?

Concernant les sociétés redevables de l’imposition, la restitution des sommes versées ne pourrait être envisageable que pour celles qui ne remplissaient pas la condition de la territorialité exigée par l’article 223 A du Code général des impôts, sur le fondement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel du 19 septembre 2014 (affaire Société Red Bull[xiii]), ainsi que sur le fondement de la non-discrimination prônée par l’article 14 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme.

Par opposition, dans la mesure où seuls les termes « entre sociétés du même groupe au sens de l’article 223 A » de l’article 235 ter ZCA ont été retoqués, une entreprise implantée en France ne pourrait pas se prévaloir d’une telle décision pour ne pas contribuer à cet impôt.

2 – La réponse attendue de l’Administration fiscale

Afin de ne pas être pris au dépourvu lorsque la décision produira ses effets le 1er janvier 2017, Bercy a déjà pris les devants et a proposé un nouveau dispositif pour remplacer la contribution litigieuse. Monsieur ECKERT, secrétaire d’État au budget, a indiqué dès le lundi 3 octobre que « nous sommes [Bercy] en train de construire un nouveau dispositif qui répond aux mêmes objectifs et dans les mêmes proportions ». Il ajoute que la mesure sera intégrée dans le projet de loi de finances rectificative qui sera présenté en fin d’année au Parlement.

Il est important de noter qu’il faille concilier d’une part la volonté de l’État de ne pas tirer un trait sur les recettes que lui apportait la contribution additionnelle de 3%, soit environ deux milliards d’euros, mais aussi d’autre part ne pas faire supporter aux entreprises des charges supplémentaires, ce qui nuirait à l’attractivité de la France, mais surtout à la compétitivité de celles-là. Ainsi, les observateurs[xiv] envisagent plusieurs cas de figure :

  • Une suppression pure et simple de cet impôt : mais cela semble peu viable, l’État ne pratiquant que très rarement la perte de bénéfices, surtout de ce montant.
  • Soumettre l’ensemble des entreprises à cet impôt : en cette période de pré-présidentielle, une telle mesure ne serait que peu raisonnable. En effet, augmenter la fiscalité des entreprises pourvoyeuses d’emplois serait « se tirer une balle dans le pied », surtout que l’objectif annoncé par le Gouvernement serait de réduire le taux de l’impôt sur les sociétés.
  • Le plus concevable serait une diminution globale du taux de l’impôt, accompagnée d’un élargissement de sa base aux sociétés fiscalement intégrées : c’est concilier les deux solutions, mais cela reste très bancal.

En dehors de ces enjeux internes, il ne faut pas oublier que cette taxe fait encore l’objet d’une contestation qui est pendante devant la Cour de justice de l’Union européenne, et qui risque, sûrement, d’asséner le coup final à cette contribution additionnelle de 3%.

II La contribution additionnelle de 3% : une proie facile du droit européen ?

Le Conseil Constitutionnel qui a déclaré, comme il l’a été indiqué antérieurement, contraire à la Constitution les mots « entre sociétés du même groupe au sens de l’article 223 A » figurant au 1° du paragraphe I de l’article 235 ter ZCA du Code général des impôts n’est pas le seul à être saisi de l’affaire. En effet, les avocats de l’Association française des entreprises privées (AFEP) ont plaidé l’incompatibilité de ce texte avec les normes européennes[xv]. C’est ainsi qu’une question préjudicielle est à ce jour toujours pendante devant la Cour de justice de l’Union européenne.

Il est intéressant de noter, à ce stade du développement, que ce n’est pas la première fois que cet article se voit confronter à la lourde épée de Damoclès que sont les Institutions Européennes. Le 26 février 2015, une procédure d’infraction contre la France a été ouverte en raison de l’incompatibilité de ce texte avec, notamment, la directive 2011/96/UE et l’article 49 du Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) qui prônent la liberté de forme juridique et d’établissement. C’est sur ce même fondement que les avocats de l’association demanderesse ont bâti leur contestation.

Tout d’abord sous le visa de l’article 49 du TFUE. Il est bon de rappeler que cet article stipule qu’il ne peut être fait de restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un Etat membre dans le territoire d’un autre. Dès lors, toute disposition fiscale qui aurait pour conséquence une limitation de cette liberté serait nulle. En l’occurrence, deux points font remonter le débat en ce qui concerne l’article 235 ter ZCA du Code général des impôts.

En premier lieu, c’est la différence de traitement entre les filiales et les succursales qui fait conflit. En effet, l’article en cause soumet à la contribution, les dividendes qu’une société mère européenne saurait recevoir de sa filiale ce qui n’aurait pas été le cas si la société mère avait opté pour l’option de la succursale. Or, la différence entre la succursale et la filiale semble être minime et c’est d’ailleurs pour cette raison que la Cour de justice de l’Union européenne ne la reconnaît pas. Malgré cela, en droit interne il est fait distinction entre les deux. En effet, la succursale est considérée comme un établissement stable et se caractérise par une relation de dépendance exclusive avec la société mère. La succursale ne serait alors être qu’un prolongement de la société mère qui permettrait l’exercice de l’activité de cette entité dans le pays où elle est installée – somme toute, c’est un simple intermédiaire. Il est vrai que la distinction avec la filiale ne semble pas vraiment très marquée dans la mesure où, de son côté, la filiale se caractérise, selon le Bulletin Officiel des Finances Publiques et des Impôts, par l’existence d’un contrôle et non d’une dépendance. Le BOFPI fait ici référence au paragraphe 7 de l’article 5 du modèle de convention fiscale de l’OCDE qui accorde une certaine liberté qui n’existe pas dans la succursale. Il n’en reste pas moins que les deux sociétés restent chapotées par l’entité supérieure et que l’autonomie de la filiale reste, en pratique, plus ou moins restreinte. Or, cela à des conséquences puisqu’en droit interne il existe une différence de traitement eu égard à la contribution des 3% sur les dividendes. La Cour de justice de l’Union européenne indique alors qu’un tel montage ne saurait être caractérisé par une différence de situation, ce qui est contraire à l’article 49 TFUE. En soi, cela limiterait le choix des entreprises européennes en cas d’installation en France au modèle de la succursale eu égard à cette disposition.

En second lieu, c’est la différence de traitement entre les filiales détenues à 95% par une société étrangère de celles détenues par une société française qui contrevient à la liberté d’établissement. En effet, l’article 235 ter ZCA du Code général des impôts fait renvoi, en ce qui concerne les exceptions, à l’article 223 A de ce même Code qui fait application de la notion de groupe intégré. Dans cette hypothèse, le groupe qui aurait sa filiale et sa société mère en France se verrait exonéré d’une telle contribution. On peut aisément comprendre le but de cette disposition dont l’incitation à l’implantation en France ne saurait être cachée. Cependant sur le plan européen, cette exception, qui traite différemment deux sociétés mères en raison de leur implantation géographique, contrevient à la règle de l’article 49 TFUE. La libre installation dans les États membres de l’Union européenne est ainsi bafouée.

Pour ce qui est du volet de l’incompatibilité du texte avec la directive 2011/96/UE, il s’agit de nous focaliser sur la prohibition de la double imposition. En effet, les articles 4 et 5 de cettedite directive disposent qu’il ne saurait être autorisé d’imposer les dividendes à la source. Les dividendes étant soumis à l’impôt sur les sociétés, ils ne pourraient être de surcroît imposés par un quelconque impôt en raison de la prohibition de la double imposition. Lors du dépôt du projet de loi par le Gouvernement, ce dernier avait fait attention à ce problème et n’avait prévu aucune imposition pour les structures mère/fille afin de ne pas se voir retoquer pour avoir imposé à la source des dividendes déjà imposés par l’impôt sur les sociétés. Au sens européen du terme, est considérée comme retenue à la source « toute imposition sur les revenus perçus dans l’État dans lequel les dividendes sont distribués et dont le fait générateur est le versement de dividendes »[xvi]. Ainsi faut-il que la contribution soit imposée dans les mains de la personne qui paye l’impôt sur les sociétés. Or ici, c’est la société mère qui est redevable de la contribution et non la filiale. Ainsi le problème semble réglé et c’est ce que proclament les défenseurs de cette loi. Cependant, l’article 4 de la directive conçoit la double imposition sur un point de vu économique puisqu’il interdit à tout État d’imposer au titre de l’impôt sur les sociétés les revenus de la filiale et par la suite de soumettre la société mère à une contribution pour ses mêmes revenus. L’histoire aurait pu ne pas soulever de problème si les parlementaires, soucieux de l’intelligibilité de la loi, et son rapporteur général, n’avaient pas amendés le projet de loi du Gouvernement en soumettant les structures mère/fille à cette imposition. Ces derniers, n’ayant à leur vue que la notion française de la double imposition, n’avaient pas senti le problème arriver dans la mesure où ils ne se souciaient guère de cette vision économiste, somme toute raisonnable, de l’Union européenne. Il est donc fort à parier que ce point sera mis à mal par la décision attendue de la Cour de justice de l’Union européenne.

La décision de la Cour de justice de l’Union européenne semble en effet toute tracée puisque cette dernière a été saisie le 28 janvier 2015 par la Cour Constitutionnelle Belge à propos de la fairness tax. Cette taxe présente des caractéristiques comparables à notre contribution de 3% puisqu’elle instaure une contribution de 5,15% à l’occasion d’une distribution de dividendes. Lors d’une audience du 22 juin 2016, devant la Cour de justice de l’Union européenne, la Commission européenne a conclu à l’incompatibilité de cette taxe au regard de la législation européenne.

La prochaine décision de la Cour de justice de l’Union européenne soulève des enjeux d’une extrême importance : en cas de déclaration d’incompatibilité avec la législation européenne, l’ensemble des revenus perçus par l’État français en raison de la contribution de 3% devraient être restitués.

 

Vincent LEPAUL

Quentin LETARD

Master 2 Juriste d’Entreprise (MAJE), spécialité Commerce et Finance – UFR de Tours

[i][i] Martin COLLET, Le Conseil constitutionnel et les discriminations à rebours en matière fiscale, La Semaine Juridique édition générale, n°13, 28 mars 2016, 373

[ii] CC, 30 septembre 2016, décision n°2016-571 QPC, Société Layher SAS

[iii] CC, 9 août 2012, décision n°2012-657 DC

[iv] CC, 3 février 2016, décision n°2015-520 QPC, Société Metro Holding France SA

[v] CE, 8 octobre 2010, n° 341295, Société Travaux publics Louis Adam

[vi] CC, 6 Mars 2015, n°2014-456 QPC, cons. 3, « Société NextRadio TV »

[vii] CJUE, 10 mai 2012, affaire 338/11 à 347/11, Santander Asset Management SGIIC SA et autres

[viii] CC, 14 avril 2016, décision n°2016-534, Mme Francine E.

[ix] CC, 20 juillet 1977, décisions n°77-83

[x] Vincent LEPAUL, « L’administration fiscale peut-elle constater un abus de droit en vertu d’un texte abrogé », Le Petit Juriste, 26 janvier 2016

[xi] CE, 27 Septembre 2006, n°260050

[xii] CE, 23 Mai 2014, n°374056

[xiii] CC, 19 septembre 2014, décision n°2014-417 QPC, affaire « Société RED BULL »

[xiv] « Taxe de 3% sur les dividendes : le Conseil Constitutionnel fait monter la pression » Louis BRAVARD, ADAMAS avocats et associés

[xv] CE, 27 juin 2016, Association française des entreprises privées, n°399024

[xvi] CJCE, 4e ch., 26 juin 2008, aff. C-284/06, Finanzamt Hamburg-Am Tierpark c/ Burda GmbH, pts 52 et 53 : Rec. CJCE 2008, I, p. 4571, concl. P. Mengozzi ; Dr. fisc. 2008, n° 37, 476

 

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