Les Casques bleus sont les militaires prêtés par certains États membres à l’Organisation des Nations Unies (ONU) et qui constituent la force de maintien de la paix de cette organisation, celle-ci ne disposant pas de sa propre force armée. Au 31 janvier 2016, le personnel en uniforme de l’ONU se compose de 89 406 soldats et 13 261 policiers.
Malgré le fait qu’il arrive que des Casques bleus portent atteinte à des libertés fondamentales (I), la détermination d’éventuelles sanctions relatives à ces atteintes reste néanmoins compliquée (II).
I. La paradoxale violation de libertés fondamentales par des Casques bleus
Bien que cette force armée ait été initialement instituée et développée dans une optique d’obtention ou de sauvegarde de la paix dans certaines zones du globe considérées comme risquées du point de vue de la protection des libertés fondamentales (A), il arrive qu’elle soit elle-même à l’origine du danger pour ces mêmes libertés (B).
A. Les Casques bleus en principe chargés de protéger les libertés fondamentales
Fondée en 1948 dans le but de superviser l’application de l’Accord d’armistice entre Israël et les États arabes d’alors à la suite de l’autorisation du déploiement d’observateurs militaires au Moyen-Orient par le Conseil de sécurité de l’ONU, la Force de maintien de la paix est chargée de diverses missions. Les principales d’entre elles sont le maintien de la paix, la prévention des conflits et la médiation, le rétablissement de la paix, l’imposition de la paix et la consolidation de la paix.
Bien que ces missions ne fassent pas expressément référence aux libertés fondamentales, leur lien avec la protection de ces libertés est établi par le constat qu’elles répondent aux exigences de la Charte des Nations Unies, en l’occurrence de celles énoncées par le Préambule de cette même charte. Par exemple, ce texte énonce que les peuples des Nations Unies sont résolus à proclamer leur « foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites ».
B. Certains Casques bleus toutefois responsables d’actes attentatoires aux libertés fondamentales
Depuis 2008, plus de six cent cas de violences sexuelles commises par des membres du personnel civil ou militaire de l’ONU à l’encontre de requérants issus des populations locales ont été recensés par les Nations Unies dans de nombreux pays hôtes, de la République Démocratique du Congo (RDC) au Burkina Faso en passant par Haïti et le Mali. L’exemple ayant le plus frappé l’actualité récente en ce sens est celui de la République Centrafricaine, où les cas d’abus sexuels ou d’exploitation sexuelle par des Casques bleus se sont multipliés.
Le début de l’année 2016 recensait déjà au 28 mars vingt-cinq accusations de cet ordre recueillies par les Nations Unies dans cet État. L’affaire doit en outre son importante médiatisation en France au fait qu’elle concerne, entre autre, des soldats français envoyés en République Centrafricaine dans le cadre de l’opération Sangaris.
II. La difficile applicabilité de sanctions juridiques aux Casques bleus
Les Casques bleus bénéficient d’un régime de protection particulier (A) qui peut amener à s’interroger sur l’opportunité d’éventuelles créations institutionnelles (B).
A. Une difficulté résultant du statut des Casques bleus
D’après l’article 39 de la Charte des Nations Unies, c’est au Conseil de sécurité de l’ONU qu’il revient de constater « l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression », et par la suite d’émettre des recommandations dans le but de maintenir ou rétablir la paix. L’article 14 de cette même charte dispose quant à lui que l’Assemblée générale de l’ONU peut également émettre des recommandations relatives au maintien de la paix sous réserve que la situation visée n’ait pas été préalablement traitée par le Conseil de sécurité.
Néanmoins, bien que ces opérations soient à l’initiative des organes de l’ONU, les militaires composant la force de maintien de la paix sont prêtés par les États membres de l’ONU. C’est par conséquent devant les juridictions nationales de leurs États respectifs qu’ils sont en principe tenus de répondre de leurs actes. L’ONU ne peut intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence d’un État, conformément à l’alinéa 7 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies. Elle ne dispose en elle-même que de la possibilité de mener des investigations sur les éventuelles exactions commises par des Casques bleus, et de rapatrier ces derniers en leur interdisant de participer à d’autres opérations de maintien de la paix dans l’hypothèse où ces actes s’avèrent confirmés.
B. Vers la création d’institutions spécifiques ?
L’idée de la mise en place d’institutions spécifiques relatives aux membres du personnel de l’ONU envoyés à l’étranger, notamment de la création d’un tribunal spécial, s’est considérablement développée avec les récents cas d’exactions commises par des Casques bleus en République Centrafricaine.
Ainsi, dès le mois d’octobre 2015, l’organisme ONU Femmes a présenté à la presse un rapport d’experts commandé par l’ONU et ayant pour principal auteur Radhika Coomaraswamy, une ancienne représentante spéciale de l’ONU dont le domaine d’expertise concerne les violences pouvant être infligées à l’encontre des femmes et des enfants lors de conflits armés. Ce rapport a pour objet la création d’un tribunal spécial permettant de juger les Casques bleus ayant commis des violences sexuelles.
Néanmoins, les rapporteurs de ce projet ont eux-mêmes expliqué que sa concrétisation semble d’emblée compromise. Ceci est notamment dû au procédé de création d’un tribunal spécial, ce dernier ne pouvant voir le jour sans l’aval du Conseil de sécurité de l’ONU. De ce fait, bien que l’hypothèse de la création d’un tribunal spécial relatif aux exactions des Casques bleus ne soit pas en principe irrémédiablement exclue, l’observation de la pratique permet de constater que les exigences requises sont rarement réunies. On peut mentionner en ce sens l’exemple de l’échec du Conseil de sécurité à créer un tribunal spécial qui aurait eu pour rôle de poursuivre les responsables du crash du vol MH17 en Ukraine au cours de l’année 2014 en raison de l’exercice du droit de veto par la Fédération de Russie, l’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Ainsi, l’éventuelle instauration d’un tribunal spécial dépend finalement de la volonté des États membres à œuvrer de concert dans le but de sa mise en place et, de manière corollaire, d’une justice plus efficace en ce qui concerne les abus commis par des Casques bleus.
Pierre-Antoine Rizk
Pour en savoir + :
Site un.org
Site crin.org > Rubrique campagnes > Article « Chronologie des affaires d’abus sexuels par des casques bleus »