L’année 2011 marque la résurgence d’un fait identitaire particulier qu’est l’appartenance à une religion donnée. Du vandalisme de l’œuvre « Piss Christ » aux interruptions de pièces de théâtres considérées blasphématoires par une minorité de croyants, en passant par l’incendie de la rédaction de « Charlie Hebdo » en raison de la publication de caricatures, les atteintes à l’ordre public n’ont cessé de s’accentuer. Qu’en est-il spécifiquement de la liberté d’expression et de religion eu égard aux caricatures ?
La nécessaire conciliation des libertés d’expression et de religion
La DDHC de 1789 en son article 10 fait de ces deux libertés, les plus fondamentales des libertés intellectuelles (1). Le Conseil Constitutionnel leur a même conféré valeur constitutionnelle depuis la célèbre décision du 16 juillet 1971. Elles sont d’ailleurs reprises par l’article 9 (liberté de religion) et 10 (liberté d’expression) de la Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). L’une relevant du for intérieur de l’individu, et l’autre de sa faculté d’extérioriser une pensée, une information ou une opinion, des problèmes tenant à la conciliation des libertés de religion et d’expression ont vu le jour.
Ce problème apparaît avec une acuité toute particulière dans la caricature puisque, par essence, elle est « inhérente à l’exagération et à la distorsion de la réalité », notamment dans le but de « provoquer et à susciter l’agitation » (2).
D’ailleurs, l’article 10 de la CEDH, en son paragraphe 2 évoque le respect « des devoirs et responsabilités » incombant à toute personne qui exercerait son droit à la liberté d’expression. La Cour Strasbourgeoise rappelle à cet égard que les journalistes doivent respecter une certaine éthique déontologique qui semble désormais s’étendre aux caricaturistes (3).
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La reconnaissance d’une acception libérale de la liberté d’expression
Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’homme, a été jugé compatible avec la convention, une législation réprimant pénalement le blasphème (4). Néanmoins, le conseil de l’Europe, dans un idéal commun, ne recommande pas d’ériger le blasphème en tant qu’infraction pénale.
La France n’ayant pas fait le choix d’une telle législation, les juridictions françaises ont reconnu la relaxe du quotidien satirique « Charlie Hebdo » dans l’affaire de la publication des caricatures danoises du prophète Mahomet (5).
En revanche la loi de 1881 sur la liberté de la presse instaure le délit d’injure dans ses articles 29 et 33. Ainsi, ces articles n’excluent pas les circonstances de fait permettant d’établir l’existence d’un outrage envers une communauté religieuse envisagée dans son ensemble (6). Le danger majeur serait tout de même de succomber à l’arbitraire pour apprécier les éléments constitutifs de cette infraction. En effet il est très difficile pour le juge d’apprécier l’atteinte que peut porter une caricature à telle ou telle communauté religieuse. Il s’agirait sans le moindre doute, de la reconnaissance d’un certain communautarisme. A cet égard la Cour Strasbourgeoise n’exclut pas un contrôle des dessins afin d’apprécier s’ils sont à même de choquer les consciences religieuses.$
N’oublions pas que l’article 10 §2 de la CEDH autorise toute restriction à la liberté d’expression en cas de trouble à la sécurité nationale. En ces temps de résurgence de l’intégrisme religieux, il serait regrettable de museler « les chiens de garde de la démocratie »(7) au profit de la loi religieuse.
Yann PAQUIER,
Pour en savoir plus [1] Une version revue et augmentée de cet article paraitra dans les semaines à venir sur le site.
[2] CEDH, 25 janvier 2007, Vereinigung Bildender Kunstler c/ Autriche
[3] CEDH, 2 oct. 2008, Leroy c/ France
[4] CEDH, 20 septembre 1994, Otto-Preminger-Institut c/Autriche,
[5] CA Paris, 11ème chambre, section A, 12 mars 2008
[6] Jacques Francillon « Liberté d’expression et respect des convictions religieuses » (RSC 2006, 625)
[7] CEDH, 23 sept. 1994, Jersild c/ Danemark
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