Au cours de l’été et de l’automne 2017, dix-huit box ont été transformés dans les salles d’audience de plusieurs juridictions d’Ile-de-France et cinq autres le seront d’ici fin 2018. Pour répondre à la menace terroriste, une politique de sécurisation des tribunaux a été engagée par le Gouvernement dans le cadre de mesures exceptionnelles décidées en 2015. Cette politique permet aux tribunaux de mettre en place des box en partie ou totalement vitrés destinés aux détenus et visant à prévenir toute violence ou évasion au cours du procès.
Le 15 janvier 2018, le Syndicat des avocats de France (SAF) a assigné devant le Tribunal de grande instance (TGI) de Paris le Ministère de la Justice et l’agent judiciaire de l’Etat pour faute lourde. Soutenu par les deux tiers de la profession dont le pénaliste et grand défenseur des droits de l’Homme Maître Henri Leclerc, le syndicat a demandé une remise en l’état. Ils estiment que ces constructions sont contraires à l’article 318 du Code de procédure pénale, qu’elles portent atteinte à la présomption d’innocence, à la dignité de la personne, au principe de l’oralité des débats en matière pénale et qu’elles affectent les droits de la défense et la fonction même de l’avocat. La Ministre de la Justice ainsi que l’agent judiciaire de l’État ont soulevé l’incompétence matérielle du TGI au profit du tribunal administratif de Paris.
Cependant, la demande du SAF a été déclarée irrecevable par le TGI le 12 février dernier. Le tribunal s’est déclaré compétent pour juger du litige mais a déclaré les demandes des avocats irrecevables, estimant que seuls les « usagers du service public de la justice » pouvaient faire condamner l’Etat pour « faute lourde », les avocats étant considérés comme « auxiliaires de justice ».
Une atteinte à la présomption d’innocence et aux droits de la défense
Le principe de présomption d’innocence a été déclaré comme droit fondamental par l’article 11 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1948, l’article 6 alinéa 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme de 1950 et l’article 14 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques de 1966. Ce principe implique l’interdiction de l’affirmation de la culpabilité avant tout jugement. La question qui se pose est la suivante : pourquoi enfermer un détenu s’il est présumé innocent, et non pas coupable?
Maître Christian Saint-Palais, faisant partie de l’Association des avocats pénalistes, a affirmé que les box vitrés portaient atteinte à la présomption d’innocence car « cela installe l’image de la peur que susciterait le mis en cause. Hors, il n’y a pas à avoir peur d’un innocent ». La généralisation des box touche tant les criminels que les petits délinquants ou les mineurs, surtout dans les petits tribunaux.
Pour certains avocats, les box altèrent l’oralité des débats ainsi qu’une défense optimale. En effet, Christian Saint-Palais a également déclaré que « cela nous oblige à des postures tout à fait incompatibles avec une défense libre : les uns sont voutés, d’autres tordent le cou ». À Evry, « tous les avocats qui font moins de 1,70 mètre n’arrivent pas à discuter avec leurs clients parce que l’ouverture est beaucoup trop haute », selon l’avocate Déborah Meier. Les témoins ont soutenu que les micros défaillaient souvent et que cela empêchait les traducteurs de traduire correctement les propos des détenus. Peut-on défendre correctement un prévenu lorsque celui-ci est enfermé dans une cage de verre?
Le SAF considère que les box vitrés portent atteinte à l’article 318 du Code de procédure pénale qui dispose que : « l’accusé comparaît libre et seulement accompagné de gardes pour l’empêcher de s’évader. » La liberté du détenu n’est donc pas respectée. Ce dispositif fait comparaitre un prévenu déjà emprisonné ce qui laisse sous-entendre sa culpabilité.
Une atteinte à la dignité humaine
Les box sont semblables à un cube de verre, fermé, à l’exception de deux ouvertures basses permettant à son occupant de parler, et d’une porte menant au dépôt. Certains avocats pénalistes les comparent à un « enclos de verre », une « cellule au sein de la salle d’audience » voire à un « aquarium ».
Laurence Roques, Présidente du SAF, dénonce le fait que malgré les deux ouvertures de quinze centimètres prévues pour faciliter la communication et l’échange de documents avec l’avocat, de sérieux problèmes techniques subsistent. « La discussion entre l’avocat et son client est compliquée. Les magistrats n’entendent rien, le prévenu a le dos courbé. C’est une architecture déshumanisante ».
En octobre 2015, le SAF avait déjà assigné le Garde des Sceaux en vain, puisque les juges lui avaient répondu que l’usage d’un box n’était pas humiliant pour le prévenu. Cette décision fut contredite l’année suivante par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) lors d’une condamnation de la Russie. La CEDH protestait contre les cages russes, « une mesure d’enfermement dans le prétoire ».
Le Conseil National des Barreaux rappelle à l’ordre la ministre de la Justice
Le Conseil National des Barreaux (CNB) a rappelé que la France devait avant le 1er avril 2018 transposer la Directive (UE) 2016/343 du 9 mars 2016 demandant de « s’abstenir de présenter les suspects comme coupables » par le recours aux « menottes, box vitrés, cages ou entraves de métal », sauf lorsqu’il existait un risque sérieux.
Selon Christiane Féral-Schuhl, Présidente du CNB, « les droits de la défense ne cessent de reculer en France. » Cependant, « nous allons étudier si d’autres recours sont possibles. Par ailleurs nous allons continuer à mobiliser l’opinion publique sur le respect de la présomption d’innocence et la dénonciation du caractère indigne de la comparution dans une cage ».
D’autres procédures sont en cours à Versailles, Nanterre et auprès du Conseil d’Etat. En 2003 déjà, des avocats s’étaient opposés en justice à l’installation de box vitrés à la Cour d’appel de Paris et aux Assises des Yvelines, obtenant finalement gain de cause. Une procédure engagée en 2015 à Grenoble avait en revanche échouée.
Lola Perez
Pour en savoir plus:
JOHANNES, Franck. « Les box vitrés des tribunaux en procès à Paris ». Le Monde, 15 janvier 2018.