Le trust est aujourd’hui bien plus volontiers associé à Wall Street et aux grands conglomérats financiers qu’au Moyen-Âge britannique. Pourtant, il trouve sa source dans une très ancienne institution de Common Law, proposant une conception particulière de la propriété.
Les prémices du trust
Depuis le règne de Guillaume le Conquérant (1066-1087) la propriété de la terre du royaume d’Angleterre appartient au souverain. Aussi, le droit anglais a toujours consacré une superposition des droits sur le sol. Contrairement à la France où la féodalité a consisté en un affaiblissement du souverain notamment par la perte du droit foncier sur le royaume – son fief s’étendant alors simplement d’Orléans à Senlis – la féodalité anglaise a conservé ce droit du roi. Sur les terres du royaume, le souverain concède des fiefs aux chevaliers (knight fee). Au XIIe et XIIIe leur droit se renforce dans le sens de l’aliénabilité. Ils peuvent désormais vendre la terre et, en contrepartie, payent des droits de tenure. À partir du XVIIe siècle les fiefs disparaissent et deviennent des freehold, dont le droit de propriété est établi à durée indéterminée.
Mais, un problème se posa lors des premières croisades. Les chevaliers devant aller se battre en Terre Sainte étaient contraints de laisser leur fief à leurs enfants ou, si ceux-ci étaient mineurs, à des gardiens. Mais alors, comment être sûr que les héritiers ne se feraient pas spolier par les gardiens du fief ? C’est ainsi qu’apparaît un procédé juridique, ancêtre du trust, appelé use. Le chevalier dispose d’un droit sur le fief, on l’appelle le feofor. Il confie son fief à un ou plusieurs amis, dits feofees, avec pour consigne de l’entretenir et de le transmettre à l’héritier majeur, appelé le « cestui que use ». L’habitude se prend alors d’employer ce procédé afin d’effectuer des donations et ce faisant contourner l’imposition. Le manque à gagner étant important pour le trésor royal, Henri VIII finit par interdire les uses en 1535. Les juristes anglais échafaudent alors un mécanisme similaire dénommé trust. Dans ce système, un settlor cède ses droits à des trustees au bénéfice d’un beneficiary. Au XVIIe siècle les Rules of Perpetuity exigent que les beneficiaries soient des personnes vivantes ou susceptibles de naître rapidement et fixent la durée d’un trust à deux générations maximum. Cette limite est supprimée en 1601 par la reine Élisabeth Ière pour les trusts charitables, comme par exemple le National Trust, équivalent britannique des Monuments nationaux.
La conception doctrinale du trust en Common Law
La doctrine classique considère que le trust repose sur un fondement contractuel entre le settlor, déterminant les bénéficiaires et la durée, et les trustees garant de l’intégrité du patrimoine. La jurisprudence a quant à elle dégagée que le settlor, le bénéficiaires et les biens concernés doivent être certains. Plus encore, le trust repose sur une interdiction fondamentale, sans laquelle il n’aurait aucun sens : l’impossible identité entre les bénéficiaires et les trustees.
Le trust est une propriété incomplète, ce qui n’empêche pas les trustees de vendre leur droit. Simplement, les cessionnaires deviennent à leur tour trustees. Cette possibilité existe aussi pour les bénéficiaires, mais se réalise rarement.
Le trust comme exemple de transplant juridique
Les colons britanniques qui se sont établis en Amérique du Nord, ont transposé le droit et les institutions qui leurs étaient familières. Par exemple, il a existé des formes de féodalité aux États-Unis jusqu’au XVIIIe. Aujourd’hui encore quatre États (le Massachusetts, le Delaware, le Maine et Rhodes Island) ont conservé le payement de droits de tenures pour les propriétaires fonciers. Le trust se développe aux États-Unis au cours du XIXe siècle. En 1830, la Cour suprême dégage dans l’arrêt Harvard College v. Amory[1] le standard du trustee comme « homme prudent ». Le trustee doit conserver le trust mais aussi le faire fructifier. L’institution du trust sert alors de canevas à des fonds de pensions dont la gestion est, à partir du début du XXème siècle, confiée à des organismes financiers.
L’origine du trust comme regroupement de sociétés
Le glissement sémantique du trust, de mécanisme juridique à celui de montage économique et financier est dû à John D. Rockfeller. L’idée du fondateur de la Standard Oil Company fut de s’adresser directement aux petits actionnaires des sociétés concurrentes, en leur proposant de lui céder leur droit de vote. En tant que bénéficiaires ils continuaient de toucher les dividendes ; et en tant que trustee, c’est Rockfeller qui en assurait la gestion. Dès lors, le trust est devenu synonyme de regroupement de sociétés. Dans le but de lutter contre les pratiques nuisant à la libre concurrence, le Congrès vote en 1890 le Sherman Anti-Trust Act, interdisant notamment les monopoles. Une importante campagne de presse est montée par des exploitants ruinés, pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur la situation de la Standard Oil, enregistrant alors un chiffre d’affaire annuel de plus de 1000 milliards de dollars au cours actuel. Le Département d’État engage en 1911 des poursuites contre la société de Rockfeller. Mais il faudra attendre la création de la Federal Trade Commission en 1914 pour que le procès de la toute puissante société pétrolière ait lieu. La commission commande finalement son démantèlement en 34 sociétés indépendantes.
Développements et adaptations du trust en droit civil
Le trust est une institution dont la mécanique découle de la conception du patrimoine dans le Common Law, ce qui ne l’a pas empêché d’être transplanté dans des pays de droit civil. Le Japon connaît le trust depuis 1922 et les pays d’Amérique latine depuis les années soixante. Mieux encore, de véritables pendants civilistes du trust sont apparus. Il s’agit notamment de la fiducie présente en Allemagne ou au Québec. La France permet la création depuis 2007 (Art 2011 du Code civil) de fiducie, mais uniquement à titre de sûreté. Cependant, à la différence du trust, la fiducie sort du patrimoine de son propriétaire pour être affectée à un objet. De manière générale, le mécanisme du trust et ceux qui en sont inspirés, ne connaissent pas de grande fortune dans les pays civilistes, encore très réfractaires à l’idée d’un tel démantèlement de la propriété.
Alexis ANTOIS
[1] Harvard College v Amory (1830) 26 Mass (9 Pick) 446.