Plans de réduction des émissions revus à la baisse, mesures de correction des dysfonctionnements trop timides, abandon de certains objectifs… les propositions publiées par la Commission le 23 janvier 2014 concernant la politique énergétique européenne, et notamment le marché du carbone, sont globalement peu téméraires.
Le marché européen des quotas a déjà dû traverser bien des tempêtes depuis son lancement en 2005 (fraudes fiscales, vols de quotas, chute des prix à moins de 3 euros la tonne de co2…), et il est évident que l’Union peine à apprivoiser l’instrument qu’elle a elle-même créé. Une des explications réside dans l’analyse de l’essence même du quota, pour le moins ambigue.
Le marché du carbone est créé pour servir l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), en réaction aux obligations contractées par les États à Kyoto. Le rattachement aux pouvoirs publics est par conséquent omniprésent. Les quotas permettent de contrôler administrativement les industriels en fixant des plafonds d’émissions pour des périodes définies, c’est à dire des « obligations de faire » (c’est le principe de l’action de la puissance publique). Les caractéristiques du quota sont donc, certes, proches de celles de l’autorisation administrative, mais la dimension économique de cet instrument ne peut être négligée.
Le quota s’inscrit en effet dans le cadre d’une approche néo-classique de l’économie de l’environnement, il se veut donc également vecteur de dynamisme économique. Objet négociable et échangeable sur les marchés, il est susceptible d’engendrer des bénéfices en fonction des choix stratégiques des industriels (l’innovation permet à l’industriel de revendre ses quotas excédentaires, qui souvent lui ont été attribués gratuitement). Le rattachement du quota à la catégorie des instruments financiers est d’ailleurs envisageable, surtout qu’une fois attribué il n’est plus soumis au contrôle de la puissance publique, mais « abandonné » au libre jeu du marché.
La récente expérience de l’échec cuisant du marché des quotas renvoie l’Union à ses limitations : en pratique, l’UE peine à se conformer à la réactivité exigée des acteurs du libre marché. Or, le lien entre le quota et le marché est indéniable, et nous allons le voir, l’UE elle-même estime qu’elle se doit de respecter les règles du marché en cette matière.
La surallocation des quotas est évidente. Que celle-ci soit due à un ralentissement de l’activité industrielle suite à la crise économique ou à de mauvais calculs de l’UE, le fait est que l’Union se devait de réagir rapidement. Sur un marché, lorsque l’offre est trop importante, la production diminue automatiquement (soit parce que les producteurs disparaissent soit parce qu’ils adaptent leurs prévisions). Or, il a fallu à l’UE deux ans pour obtenir une décision de « backloading » (gel de l’attribution de quotas), et pour ce faire la Commission s’est engagée à ne plus intervenir sur le marché du carbone. Non seulement l’UE n’est pas réactive, mais en plus elle s’engage à ne pas l’être, au nom du libre jeu du marché !
Si l’Union se considère acteur du libre marché, elle ne devrait être liée dans ses décisions d’allocation que par des considérations relatives à l’efficacité en termes de réduction des émissions de GES, comme le serait un producteur ou un émetteur classique par des considérations économiques.
En réalité le jeu du marché est faussé par cette incapacité de l’Union à réagir. L’Union n’est pas un acteur rationnel sur le marché, ses décisions ne sont pas strictement guidées par une recherche de profit (qui en l’occurrence serait la réduction des émissions de GES), puisqu’elle doit prendre en compte de multiples intérêts contradictoires. Certains acteurs clés de la prise de décision, au nom de la compétitivité, ne souhaitent d’ailleurs aucunement la réduction des émissions ! L’action de l’UE est de même entravée par des considérations liées à sa nature : soucis de prévisibilité, respect d’engagements qui, pris au travers de directives, ont un caractère beaucoup trop contraignant…
L’UE se contraint donc doublement, à respecter les règles s’appliquant à la prise de décision en son sein (règles déjà très lourdes), et à respecter les règles du libre marché (éviter la manipulation des prix, ne pas fixer de prix plancher…)
Cette recette a été d’une inefficacité rare. Un choix s’impose : soit l’UE considère qu’elle est un acteur sur un marché, puisque ses décisions d’allocation influent sur les prix, et dans ce cas elle devrait se permettre d’être beaucoup plus rationnelle et réactive, soit elle considère que la décision d’allocation relève d’un processus administratif au service d’un objectif public et dans ce cas elle n’a pas à s’embarrasser de considérations relatives au respect intégral du jeu du libre marché à l’heure de la prise de décision.
Hélène Martin
1 Propositions portant sur le futur paquet-climat énergie 2030 de l’Union européenne le marché carbone européen et les hydrocarbures non conventionnels, et appelées à devenir la position de négociation de l’UE pour la conférence internationale sur le climat de Paris en décembre 2015. http://europa.eu/rapid/press-release_IP-14-54_fr.htm.
2 Voir la directive 2003/87/CE, article 10 « méthode d’allocation ».
3 Rapport remis en 2010 « La régulation des marchés du CO2 – Rapport de la mission confiée à Michel PRADA », section 3, p 57.
4 L’Union reconnait la surallocation dès 2008, voir le compte rendu de la conférence de presse « Questions et réponses sur la proposition de révision du système communautaire d’échange de quotas d’émission présentée par la Commission. Commission Européenne -MEMO/08/35 23/01/2008 ».
5Au terme d’une procédure de 18 mois, publication au JOUE (L 343) de la décision n°1359/2013/UE du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 modifiant la directive 2003/87/CE afin de préciser les dispositions relatives au calendrier des enchères de quotas dans le cadre du système d’échange de quotas d’émission (SEQE) de gaz à effet de serre de l’UE.