Le développement de la science a permis une évolution majeure du droit des conflits armés, principalement depuis le XXème siècle. Un socle juridique est nécessaire pour l’utilisation de chaque nouvelle arme, et dans la course à la technologie, les limites semblent de plus en plus floues.
Le développement des systèmes d’armements létaux autonomes (les SALA, traduction française de lethal autonomous weapons systems) entraine une vive opposition des organisations non-gouvernementales soutenues par certains scientifiques, face à leurs concepteurs. Les premiers cherchent à se faire entendre de la communauté internationale afin d’interdire ce type d’armes alors que les autres défendent une évolution considérable des conflits armés.
Le droit des conflits armés, branche du droit international public, se compose de trois domaines distincts. Tout d’abord, le droit de la guerre, communément appelé « droit de La Haye » puisqu’il regroupe l’ensemble des Conventions de La Haye. Son objectif est de protéger les combattants des effets néfastes et meurtriers de la guerre. De plus, il définit les règles applicables au combat et un volet protège également des biens particulièrement exposés, à l’instar des biens culturels, protégés par la Convention de la Haye du 14 mai 1954. Ensuite, le second domaine du droit des conflits armés, le droit humanitaire, concerne quatre conventions protégeant les victimes de guerre, c’est-à-dire les blessés et malades, les naufragés, les prisonniers de guerre, et la population civile. Enfin, le droit de la maîtrise des armements interdit ou limite l’emploi de certaines armes et munitions. Ainsi, ce volet concerne directement l’utilisation éventuelle d’armes autonomes dans le cadre d’un conflit. Ont été interdites par exemple les armes chimiques et biologiques. D’autres traités, comme celui sur les forces conventionnelles en Europe (FCE), sont des instruments allant au-delà de la maîtrise des armements mais complétés par ce droit afin d’accompagner la disparition de l’utilisation de certains types d’armements.
L’apparition de « robots-tueurs » et la création d’un vide juridique
En mai 2014 s’est tenue au siège des Nations-Unies à Genève une réunion informelle d’experts sur les SALA, dans le cadre de la Convention sur les armes classiques. S’y sont également retrouvés les représentants de 87 pays et la coalition « Stop Killer Robots » formée par plusieurs organisations non-gouvernementales, dont Human Rights Watch. L’objectif pour ce groupe, soutenu par de nombreux scientifiques, est d’obtenir l’interdiction de ces armes, renommées « robots-tueurs », de la même manière que les armes à sous-munitions, interdites en 2008.
Alors que deux positions s’affrontent pour déterminer s’il est possible ou non d’utiliser ces armes dans un conflit, la Corée du Sud a installé depuis septembre 2014 plusieurs SGR-A1 le long de la zone démilitarisée la séparant de la Corée du Nord. Ce robot militaire, fabriqué par le géant coréen Samsung, décèle les mouvements intrus dans un rayon de quatre kilomètres. Mais la véritable révolution de ce robot est sa faculté à tirer de lui-même, de façon indépendante. En effet, son équipement consiste en une mitrailleuse, un lance-grenades, des capteurs de chaleur, de caméras de détection infrarouge. Cette possibilité constitue pour les détracteurs des SALA une remise en cause du droit de tuer, droit moral normalement réservé aux humains sur le champ de bataille. Le fait de pouvoir tirer sur une cible mouvante pour un robot soulève également la question des principes de distinction – entre civils et militaires – et de proportion dans le cadre d’un conflit armé. De manière indirecte, cette faculté peut donc être perçue comme une entrave au droit international humanitaire dans la mesure où la protection des personnes n’est plus assurée. De plus, le vide juridique dans le droit des conflits armés concernant les SALA est régulièrement dénoncé. En effet, la responsabilité pénale n’est pas établie : les victimes de dommages collatéraux dus à l’indépendance du robot ne peuvent se retourner contre lui.
Une réelle remise en cause des principes fondamentaux ?
Cependant, malgré l’apparente remise en cause de principes fondamentaux du droit des conflits armés, le développement des SALA rencontre un soutien important d’ingénieurs et théoriciens militaires. Ils sont en effet souvent présentés comme une véritable révolution. Plusieurs arguments permettent de montrer un profond bouleversement de l’organisation des conflits sur le terrain. En effet, si ces armes tirent de manière automatique et indépendante, elles ne sont pas non plus autonomes et la conduite de l’homme reste nécessaire. Ainsi, le soldat serait responsable du robot, qui resterait une simple arme et non un sujet de droit à part entière. Néanmoins, la question des victimes ne semblent pas encore résolue. Par ailleurs, l’argument humain est également avancé, les défenseurs de ces robots soutenant la théorie du remplacement des équipages sur le terrain, suivant ainsi un mouvement engendré depuis une vingtaine d’années. A l’instar des drones partant en reconnaissance, les robots permettraient notamment de repérer la présence ennemie, sans envoyer de soldats directement sur le terrain.
En tant qu’innovation technologique, les SALA soulèvent de nouveaux questionnements juridiques. Dans le cas du droit des conflits armés, la régulation revient à la communauté internationale. Vers une présence toujours plus grande de la technologie dans les conflits, entrainant ainsi une réduction de la présence humaine, les instances internationales ont pour mission d’encadrer l’utilisation et parfois même le fonctionnement de ces nouveaux armements. Le but étant naturellement d’éviter les dérives et ainsi de toujours assurer la protection des civils et militaires, la science devant servir le progrès.
Manon Baldin
Pour en savoir plus :