Au même titre qu’Ethereum, Monero ou Ripple, le Bitcoin est de plus en plus employé par des individus qui souhaitent, soit utiliser un autre moyen de paiement lorsqu’on le leur propose, soit investir simplement dans une unité de compte qui peut potentiellement prendre de la valeur au fil des années. Il est une crypto-monnaie qu’on qualifie, de manière usuelle, de « monnaie virtuelle ». Implanté depuis bientôt 10 ans, la valeur du Bitcoin a fortement augmenté au cours de cette année, passant de 800$ au mois de janvier, à 7.392$ au mois de novembre. Néanmoins il y a quelques jours à peine, sa valeur a chuté. En subissant une baisse de valeur, le Bitcoin a attiré l’attention sur sa volatilité et par conséquent sur celles des autres monnaies virtuelles. Tout en dénonçant ces risques, certains pays comme la Chine ou la Russie, souhaitent pourtant exploiter ces monnaies afin de créer leur propre monnaie étatique.
Dans un monde où la société tente de suivre les évolutions technologiques de manière constante et de les intégrer à la vie courante, il est intéressant de se demander si le Bitcoin correspond aux critères posés dans la définition classique de la monnaie, ou alors s’il représente une nouvelle forme de monnaie moderne avec ses règles propres.
La réponse n’est pas tranchée aujourd’hui. Face à ce nouveau modèle, deux interprétations de cette crypto-monnaie s’opposent. Néanmoins une chose est certaine, le Bitcoin prend une place prépondérante dans la sphère économique, qu’on ne peut actuellement ignorer.
I) Le refus de qualification du Bitcoin en tant que monnaie par les tenants d’une approche traditionnelle
Avant même de qualifier le Bitcoin de monnaie au sens juridique, il est important de comprendre son système et son mode de fonctionnement. Sa création date de 2009, juste après la crise des subprimes [1], et résulte du travail de plusieurs programmes informatiques utilisant le pseudonyme de « Satoshi Nakamoto ». Les bitcoins sont créés par des algorithmes et fonctionnent sur des blocs de données appelés « Blockchains » qui stockent et transmettent les informations sécurisées. Une blockchain est une plateforme composée de plusieurs ordinateurs connectés entre eux et qui constituent un réseau « pear to pear ». Ainsi les Bitcoins, dans ce type d’échange, sont échangés directement entre les acheteurs et vendeurs sans aucune intervention d’une banque centrale ou bien d’un Etat
L’intervention bancaire ou étatique nécessaire dans le processus de fabrication d’une monnaie.
A l’origine, la monnaie a pour étymologie le mot « Nomisma », qui provient du grec et renvoie à « nomos » qui signifie la loi positive, l’objet inventé par les hommes. La monnaie était alors une institution créée par la loi au service de la vie sociale.[2] En s’appuyant sur cette conception, certains auteurs refusent de qualifier le Bitcoin de monnaie virtuelle et sont convaincus qu’il ne s’agit là que d’un abus de langage. En effet il considèrent que le Bitcoin ne correspond pas aux critères de la définition classique d’une monnaie qui veut qu’elle soit contrôlée et règlementée par une banque centrale et/ ou un Etat. Or il n’est régi par aucune des deux institutions et ne possède pas de cadre légal. Dépourvu d’intermédiaire, il appartient à un réseau direct et libre entre les individus qui se l’échangent.
Pourquoi l’intervention bancaire est-elle nécessaire ? Les banques centrales ont pour rôle de surveiller et de réguler la création de monnaie afin de s’assurer qu’il y ait suffisamment de monnaie pour que le système économique fonctionne, sans pour autant en surproduire. Ainsi, pour être qualifié de monnaie à part entière, le Bitcoin doit pourvoir s’adapter à l’activité économique mondiale. Or les créateurs du Bitcoin ont décidé de limiter sa production à 21 millions de valeur totale, ce qui signifie qu’un jour la production cessera en principe (au même titre que l’or, qu’on ne peut trouver infiniment sur terre). De plus, une intervention bancaire, dont la fonction est précisément de réguler la monnaie, semble nécessaire pour adapter le Bitcoin à une activité économique réelle. Sur les blockchains il n’existe aucun contrôle sur la valeur que prend le Bitcoin. Ainsi il ne s’agirait pas d’une monnaie, mais plutôt d’un outil d’investissement de spéculation. C’est d’ailleurs ce qu’a affirmé la SEC[3] cet été en estimant que les jetons et nouvelles devises étaient des actifs financiers.
Des arguments supplémentaires contre la qualification du bitcoin en tant que monnaie.
Les auteurs qui défendent la définition classique fondent leur argumentation sur la définition de la monnaie, établie par Aristote qui, dès l’Antiquité, propose de la définir de manière fonctionnelle. Il affirme que la monnaie comporte alors 3 fonctions : elle est une unité de compte, un instrument d’échange et une réserve de valeur. La pensée classique affirme que le Bitcoin ne correspond pas à la seconde condition puisqu’il serait en fait un instrument d’échange limité et pas généralisé sur tout un territoire, au même titre que l’euro ou le dollar. En effet il s’échange principalement sur internet, et entre individus qui ont décidé volontairement de payer de cette manière.
En outre, si on refuse de payer avec le Bitcoin, on ne subit aucune sanction prévue par le Code pénal [4]. Le droit pénal ne considère pas le Bitcoin comme monnaie car, comme il utilise, dans ses textes légaux, uniquement les termes de « pièces de monnaie » ou de « billets de banque » qui ont un cours légal en France, il n’envisage pas la même sanction pour les crypto-monnaies. On peut néanmoins penser que face à cette nouvelle technologie, ce droit ne s’est pas encore adapté.
Cette monnaie virtuelle ne suivrait donc pas le chemin classique des monnaies. Beaucoup d’acteurs économiques (dont les banques) et politiques actuels, par peur de la nouveauté ou par précaution, se méfient de l’arrivée du Bitcoin dans le système économique. Ils considèrent que, placer cette crypto monnaie au rang de monnaie à part entière, comporte un grand risque. Il est vrai que, grâce à l’anonymat des individus qui échangent sur le réseau blockchain, le Bitcoin peut être utilisé pour financer des activités illicites (détournement d’argent, terrorisme…). Christine Lagarde, directrice générale du FMI, met en garde contre la trop grande volatilité de la valeur du Bitcoin ainsi que son anonymat. Elle dénonce également un manque d’information de cette nouvelle technologie aux potentiels utilisateurs de ce système qui peuvent alors s’engager dans l’achat d’un Bitcoin sans en connaître réellement le fonctionnement et les risques. Toutefois, elle relativise ses propos en affirmant que, pour l’instant, les sommes en jeu ne sont pas assez importantes pour avoir un réel impact sur le système économique mondial. Elle ajoute qu’il faudra réguler tout cela, un jour, mais est ce que cette régulation sera réellement possible étant donné que le principe même du Bitcoin est d’être dépourvu de contrôle ?
Sur ce point il est intéressant de décrire la situation en Chine. L’Etat a récemment interdit à des plateformes qui échangeaient des bitcoins à Pékin, de continuer leur activité. Puis il a annoncé qu’il souhaitait créer sa propre crypto-monnaie chinoise. Cette situation rend sceptique. On peut penser, à première lecture, que l’Etat souhaite encadrer de lui-même les cryto-monnaies pour minimiser leurs risques. Toutefois, après une seconde lecture, ne pourrait on pas penser que l’intervention étatique contrevient au principe même du Bitcoin qui fonctionne sans intermédiaire ? L’Etat ne souhaiterait-il pas avoir un monopole en la matière ? Telle est la question que l’on peut se poser aujourd’hui.
Enfin, il existe un dernier argument dont on peut parler mais qui sort du cadre des arguments traditionnels ou modernistes. En réalité il ne s’agit là que d’une question de point de vue qui consiste à dire que la confiance qu’ont les individus envers une monnaie est fondamentale et qu’ainsi, pour que le Bitcoin soit une monnaie, il faut avoir confiance en son utilisation. Les partisans traditionnels soutiennent que cette confiance dans une monnaie doit être totale, dans le sens où elle doit être acceptée par toute la sphère économique (utilisateurs, banques, Etats) pour recevoir ce qualificatif. Les acteurs modernes, eux, estiment que la confiance dans l’échange même suffit. C’est à dire que si l’acheteur et le vendeur ont accepté d’utiliser le Bitcoin dans leur propre échange, cela suffit à le qualifier de monnaie.
Aujourd’hui, de plus en plus d’individus font confiance au Bitcoin et considèrent, au regard de ses avantages, qu’il sera une monnaie d’avenir.
II) L’acceptation du Bitcoin comme nouvelle monnaie, prônée par les partisans d’une approche moderne
Startups, Age-funs [5], petits marchands … sont de plus en plus nombreux à proposer l’utilisation du Bitcoin en tant que moyen de paiement ou d’investissement. Cette crypto-monnaie devrait d’ailleurs prochainement faire son apparition sur le marché de Chicago, puisque le Groupe CME a annoncé qu’il proposerait dans quelques temps son utilisation sur le marché.
Certes, tout le monde n’a pas réellement accès aux bitcoins, étant donné la valeur élevée qu’ils ont actuellement. Néanmoins, en vertu des nombreux avantages qui lui sont reconnus, certaines personnes n’hésitent pas à investir quand même. Cette crypto-monnaie, considérée comme l’avenir de la monnaie, est tout d’abord appréciée car les transactions qu’elle effectue sont rapides, ce qui n’est pas le cas, par exemple, des transaction par chèques de banque qui font intervenir deux intermédiaires différents. Elle permet également un certain anonymat des transactions (ce qui n’est pas le cas d’un compte en banque) et une meilleure sécurité des données personnelles (contrairement à la détention et l’utilisation d’une carte bleue).
Elle est considérée par tous ces défenseurs et utilisateurs modernes comme un nouveau moyen de payer, une nouvelle autre monnaie, qui permet de ne plus passer par les banques. Il est important de préciser que le Bitcoin a été inventé juste après la crise des « subprimes » en 2008. A cause d’un phénomène d’inflation, les individus ne savaient pas quelle était réellement la valeur des monnaies légales (euros et dollars entre autres) et ont commencé à ne plus faire confiance aux banques. La crypto-monnaie a permis de proposer, à un moment propice, un moyen alternatif de paiement. Elle serait alors, dans un tel cas, une monnaie de réserve et de refuge.
Aujourd’hui nous sommes dans un système où la monnaie légale est de plus en plus dématérialisée, où nous payons principalement avec une carte bleue ou par virement bancaire pour les achats de tous les jours (alimentaires, factures, loisirs). Le Bitcoin ne vient que proposer un nouveau moyen dématérialisé pour régler ses paiements. L’anonymat des transactions faites dans une blockchain est une des raisons pour laquelle les acteurs économiques utilisent de plus en plus cette nouvelle monnaie (notamment pour les utilisateurs qui pratiquent une activité illégale). Certes il convient d’accepter ce moyen de paiement pour l’utiliser, mais une fois que les deux partis sont d’accord sur les termes de l’échange, qu’ils ont chacun confiance au Bitcoin. Alors on peut considérer qu’il s’agit bien d’une monnaie. Il est important de préciser que le consentement mutuel, la réciprocité, sont un élément très important. En effet, si je suis le seul à avoir confiance au Bitcoin, je ne pourrai pas l’échanger et il ne s’agirait pas, alors, d’une monnaie.
Il semblerait alors que le Bitcoin réponde à la définition fonctionnelle d’Aristote qui assure qu’une monnaie est une unité de compte, une réserve de valeur et un instrument de paiement, tout en précisant que la confiance peut reposer uniquement sur un simple échange entre deux individus.
Aujourd’hui, que répondent les penseurs modernes aux acteurs économiques et politiques qui découragent les utilisateurs d’adopter ce moyen de paiement ? Ils se contentent de dire que ces personnes ne sont pas prêtes à intégrer la technologie moderne dans le monde économique, même si cela paraît inévitable. Cette technologie, que l’on apprécie ou non, existe et ne peut, d’ailleurs, être supprimée. En effet, Monsieur Alain Pitous, directeur général de Talence gestion, explique que, techniquement, on ne saurait arrêter le système de la blockchain puisqu’il s’agit d’un réseau pear to pear. Si on décide d’éteindre un ordinateur, le réseau continuera de fonctionner.
Finalement on peut se dire que l’avenir de la monnaie prend la forme du Bitcoin et peu importe sa qualification juridique, il existera encore de nombreuses années. Certes il ne correspond pas à la définition classique de la monnaie, mais représente déjà une certaine forme de monnaie contemporaine adoptée par de plus en plus d’utilisateurs.
Cependant on peut également envisager que, ces prochaines années, les gouvernements et banques centrales des différents pays, régulent et encadrent ces monnaies virtuelles. Des mesures pourraient par exemple être adoptées pour réduire l’emploi de Bitcoin par des utilisateurs illicites, même si actuellement, le mécanisme de protection des données personnelles des clients paraît tenace. Un tel encadrement représenterait néanmoins un symbole : celui de la reconnaissance, par les Etats, d’un système aussi bien novateur qu’utile. En sécurisant le système, les Etats pourraient alors rendre le Bitcoin plus accessible à plus de personnes. Si cela se produit, les crypto-monnaies se rapprocheront par conséquent, sur ce point, de la définition juridique de la monnaie.
Julie TAILLEFER
En savoir plus :
Article sur le site matin.fr : Rubrique Economie « Le Bitcoin n’est pas une monnaie comme les autres. » par Henry Olivier ESSIENNE le 21 avril 2014.
Article sur le site lessentiel.lu.fr : « Le Bitcoin est-il un vrai tournant monétaire ? » le 5 novembre 2017.
Article sur le site lesechos.fr : Rubrique idées débats, « Le bitcoin n’est pas une monnaie » du 24 aout 2017.
Article sur le site or-argent.eu : « Le Bitcoin est-il une monnaie ? » par Jim Rickards et Peter Schiff.
Emission Radio Postcast sur BFM bussiness : Rubrique les décodeurs de l’éco, « Le Bitcoin, un mirage ? » présenté par Fabrice Lundy le mardi 7 novembre 2017.
[1] Crise des subprimes : crise financière qui a touché l’Europe en 2008.
[2] « La définition de la monnaie » par Mathieu Mucherie. Melchior.fr
[3] « SEC » : Securities and Exchange Commission. Il est l’organisme américain de régulation des marchés financiers.
[4] Article R642-3 du Code Pénal : « Le fait de refuser de recevoir des pièces de monnaie ou des billets de banque ayant cours légal en France selon la valeur pour laquelle ils ont cours est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 2e classe. »
[5] « Age fun » : terme utilisé par les acteurs économiques pour décrire des personnes avec beaucoup de moyens cherchant à investir leur argent.