La première chambre civile de la Cour de cassation vient de préciser les critères de la qualification d’hébergeur au sens de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) par deux arrêts Fuzz et Dailymotion du 17 février 2010.
L’hébergeur offre les moyens techniques nécessaires à la mise à disposition d’un contenu auprès du public sur Internet. Il s’agit bien souvent d’une personne morale qui a pignon sur rue, il peut donc être tentant pour la victime d’assigner l’hébergeur du contenu lorsque l’éditeur de ce dernier ne peut pas être identifié – parce qu’il a donné une fausse identité à l’hébergeur et a dissimulé sa véritable adresse IP. Si l’hébergeur était responsable du contenu hébergé au même titre que son éditeur, le risque serait alors grand de voir l’hébergeur se transformer en juge de fait enclin à effacer préventivement tout contenu potentiellement litigieux pour ne pas risquer d’engager sa propre responsabilité.
Afin de ne pas faire des hébergeurs un nouveau degré de juridiction obligé de préjuger de la légalité de tout contenu avant sa mise en ligne, et donc pour protéger la liberté d’expression et la liberté du commerce sur Internet, un régime de responsabilité dérogatoire au droit commun leur a été accordé par une loi du 1er août 2000. En substance, ils ne sont responsables civilement et pénalement que si, saisis « par une autorité judiciaire, [ils] n’ont pas agi promptement pour empêcher l’accès » au contenu illicite.
Une difficulté est apparue quant à la notion d’hébergeur, avec pour enjeu le bénéfice de ce régime très favorable de responsabilité. Difficulté en partie tranchée par la première chambre civile dans un arrêt du 14 janvier 2010 (les faits de l’espèce dépendaient de la loi de 2000) où la qualification d’hébergeur est refusée à la société Tiscali au motif que celle-ci proposait « aux annonceurs de mettre en place, directement sur ces pages, des espaces publicitaires payants dont elle assurait la gestion » et que par conséquent « les services fournis excédaient les simples fonctions techniques de stockage ». Un arrêt qui a été très mal accueilli par les professionnels du secteur car, au-delà des hébergeurs gratuits tel Tiscali, il impactait plus globalement la situation de tous les sites dits du « web 2.0 » qui permettent à leurs visiteurs de s’exprimer gratuitement grâce à un modèle économique reposant sur la publicité. Une telle solution pouvait potentiellement conduire à la faillite de ces sites car il leur est économiquement impossible de contrôler a priori chaque contenu mis en ligne par les internautes, à titre d’illustration trente-cinq heures de vidéo sont mises en ligne chaque minute sur le site YouTube !
C’est dans ce contexte que les arrêts Fuzz et Dailymotion interviennent, et retiennent une solution diamétralement opposée. Il ne s’agit pas pour autant d’un revirement dans la mesure où les faits dépendaient cette fois de la LCEN de 2004 qui a transposé en droit français la directive européenne sur le commerce électronique du 8 juin 2000. Est ainsi qualifié d’hébergeur tout prestataire qui met en ligne du contenu mais qui ne joue pas « un rôle actif de connaissance ou de contrôle des données stockées ». L’on retrouve mot pour mot la formule employée par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt Google contre Louis Vuitton du 23 mars 2010. La Cour de cassation précise « fût-il créateur de son site », ce qui permet de qualifier d’hébergeur les sites « web 2.0 » tels Dailymotion et Fuzz.
La qualité d’hébergeur ne peut donc se perdre que si le prestataire connait ou contrôle les données stockées. La Cour précise par conséquent que la commercialisation d’espaces publicitaires est sans incidence, c’est la principale évolution par rapport au droit positif antérieur à la transposition de la directive. Quant aux opérations de réencodage et de formatage des fichiers envoyés par les utilisateurs, elles sont qualifiées d’opérations techniques qui participent de « l’essence » du prestataire d’hébergement. Il en va de même pour les procédés qui visent à organiser les fichiers envoyés pour faciliter leur consultation (classification par catégories, ajout de mots-clés, etc).
Voilà une solution qui devrait, cette fois, pleinement satisfaire les professionnels du secteur.
Clément FRANÇOIS
Pour en savoir plus
Cass. civ. 1re, 17 fév. 2011, n° 09-15.857, à paraître: arrêt « Amen » à propos des conditions de forme de la notification
Loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique
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