Le preneur exerçant une activité d’épicerie halal viole la clause de destination des lieux stipulée dans le bail commercial imposant un commerce d’alimentation générale, c’est en tout cas ce que vient d’affirmer le Tribunal de grande instance de Nanterre [1].
Tout débute par la conclusion d’un bail commercial entre l’office HLM de la ville de Colombes (Hauts-de-Seine) et une entreprise, qui cède ensuite son fonds de commerce et le bail commercial s’y afférent à une autre société.
Constatant des infractions au contrat, le bailleur social délivre un commandement de payer à son preneur, le mettant en demeure de mettre un terme à son activité illicite, en proposant les produits habituellement référencés au sein des magasins d’alimentation générale (produits non estampillés halal, vins) et en cessant la vente de produits annexes (tableaux de prière, petit électroménager, meubles).
Face à l’inexécution de son locataire, le bailleur se voit contraint d’intenter une action aux fins de constater la résiliation du bail et d’ordonner l’expulsion du preneur.
En reconnaissant la violation de la clause de destination du bail (II), le Tribunal de grande instance de Nanterre rappelle l’obligation à laquelle est tenue le preneur (I). De ce manquement contractuel, découle le prononcé de la résiliation du bail, sanction qui aurait pu être évitée par la mise en œuvre d’une procédure de déspécialisation partielle (III).
I – L’obligation du preneur de respecter la destination des lieux
En vertu du droit commun du bail et plus précisément de l’article 1728 du Code civil, le locataire s’engage à faire un usage de la chose louée conforme à la destination qui lui a été donnée par le bail ou à défaut de stipulation en ce sens, selon celle qui sera présumée d’après les circonstances.
En cas de manquement à cette obligation, le preneur s’expose à une résiliation du bail, soit judiciaire, soit par la mise en œuvre d’une clause résolutoire, ainsi qu’à un refus de renouvellement du bail et ce, sans indemnité d’éviction. Par ailleurs, le locataire peut se voir condamné à des dommages et intérêts dès lors que l’inexécution de ses obligations a causé un préjudice au bailleur.
Afin de déterminer la destination des lieux, il convient de se référer à la clause de destination insérée dans le bail, indépendamment de l’usage effectivement attribué à la chose par le locataire [2].
Comme le rappelle Madame Camille DREVEAU, les stipulations contractuelles s’interprètent au regard de l’évolution du commerce et des usages dans le secteur considéré, ainsi que selon les circonstances, goûts, besoins et attentes de la clientèle, étant précisé qu’une activité s’adressant à une clientèle différente sera considéré comme un changement de destination [3].
Autrement dit, les juges s’intéressent aux circonstances de chaque espèce. L’on peut donc considérer que le preneur respecterait ses obligations en se cantonnant aux produits halal, si cela correspond aux besoins de la clientèle.
Le cœur du problème est donc de déterminer si, en l’occurrence, l’activité litigieuse est conforme ou non à la clause de destination d’alimentation générale.
II – La violation de la clause de destination du bail
Les juges apportent une définition du commerce d’alimentation générale, en tant que « commerce de détail non spécialisé à prédominance alimentaire », avant de préciser que « l’activité d’alimentation générale n’est pas synonyme de celle de vente exclusive de produits alimentaires mais ceux-ci doivent demeurer cependant majoritaires ».
Ainsi, il n’est pas interdit de vendre des produits spécifiques, tels que les produits halal ou exotiques, dès lors que cette activité reste minoritaire.
Pour autant, faut-il considérer que l’absence de vin et la présence de produits estampillés halal dans les rayons suffit à faire de l’épicerie un commerce de détail spécialisé ?
L’avocate du locataire soulignait que « le vin ne fait pas partie de l’alimentation générale, c’est ce que l’on appelle un complément, donc il n’y a pas d’obligations » [4].
Cependant, les juges constatent que la vente de produits halal et exotiques est majoritaire en l’espèce et en déduisent que « l’orientation de l’activité vers la vente de produits destinés non pas à toute clientèle mais à des acheteurs spécifiques (produits halal, produits orientaux) est restrictive et ne correspondant pas à la notion large d’alimentation générale ».
Effectivement, « ce n’est pas la présence ou l’absence de certaines marchandises qui constitue l’infraction au bail mais leur généralisation, laquelle a transformé un commerce d’alimentation générale en une épicerie spécialisée s’adressant à une autre clientèle » [3].
III – Le changement de destination des lieux par la déspécialisation partielle
Pour éviter les sanctions inhérentes à la violation de la clause de destination, le locataire peut mettre en œuvre la procédure de déspécialisation simple ou partielle prévue à l’article L.145-47 du Code de commerce.
Il s’agit de l’adjonction d’activités connexes ou complémentaires à l’activité prévue au bail, en opposition à la déspécialisation totale ou plénière consistant en une véritable transformation du fonds de commerce.
Cette déspécialisation simple, qui constitue un véritable droit pour le locataire, aurait permis en l’espèce d’échapper à la résiliation du bail.
[2] Ass. Plén., 3 mai 1956, JCP G 1956, II, 9345 ; Civ. 3, 5 juin 1973, Bull. Civ. III, n°400.
[3] Camille DREVEAU, Notion de commerce à destination « d’alimentation générale », 15 décembre 2017, Dalloz actualité.
[4] Le tribunal de Nanterre ferme une épicerie halal qui ne vend pas d’alcool, 4 décembre 2017, Libération.