Avocats et sollicitation personnalisée : liberté, impatience et inquiétude

Appliquant une directive européenne, la loi Hamon du 17 mars 2014 et son décret d’application du  28 octobre 2014, autorisent les avocats à recourir à la sollicitation personnalisée.  Si cette loi est une avancée non négligeable pour une profession aujourd’hui en mal de popularité, elle est pourtant limitée et laisse de nombreuses questions en suspens.

L’union Européenne aux commandes

Le 5 avril 2011, la CJUE rappelle les dispositions de la directive relative aux services dans le marché intérieur[1]. Celle-ci s’oppose à une règlementation nationale interdisant aux membres d’une profession règlementée d’effectuer des actes de démarchage. Rappelée à l’ordre par la commission Européenne,  la France a finalement mis sa règlementation à jour en adoptant la loi Hamon du 17 mars 2014[2].

Par une loi du 31 décembre 1971[3], les avocats français avaient effectivement interdiction d’effectuer tout démarchage. Le décret d’application de cette loi définissait alors le démarchage par le fait d’offrir ses services à une personne en se rendant aussi bien à son domicile, qu’à son lieu de travail, que ce soit personnellement ou par mandataire[4]. En 2007 et 2008, la Cour de cassation avait interprété de façon extensive cette interdiction, puisqu’elle considérait qu’elle ne se limitait pas au déplacement physique de la personne, mais s’appliquait à toute offre effectuée à distance, par voie téléphonique, de presse, de sites internet, ou d’envoi de courrier électronique[5].

Un décret d’application tardif et… poussiéreux !

Modifié par la loi du 17 mars 2014,  le nouvel article 3bis de la loi du 31 décembre 1971 dispose à présent que « l’avocat est autorisé à recourir à la publicité ainsi qu’à la sollicitation personnalisée. Toute prestation réalisée à la suite d’une sollicitation personnalisée fait l’objet d’une convention d’honoraires”. Si cette loi a eu l’effet d’une bombe pour la profession, son décret d’application, indispensable à la mise en place concrète de la mesure s’est largement fait attendre.  Publié au JO le 29 octobre 2014, le décret d’application[6] donne plus d’explication puisqu’il prévoit que la sollicitation désormais autorisée, « prend la forme d’un envoi postal ou d’un courrier électronique adressé au destinataire de l’offre ». Si le projet se veut novateur, il connait des limites assez rigoureuses. Il exclut notamment les moyens de communication les plus modernes, puisqu’il est interdit aux avocats de solliciter leur potentiels clients par le moyen de « message textuel envoyé sur un terminal téléphonique mobile » (autrement dit, le SMS !).

Des avis nuancés

Liberté pour certains, inquiétude pour d’autres, si la mesure est une évolution globale pour la profession elle ne fait pourtant pas l’unanimité. Pour Pierre-Olivier Sur, bâtonnier du barreau de Paris, la déontologie de la profession est le garde-fou empêchant tout abus. « Il s’agira de proposer une offre de droit, par de tenter des captations de marché par des offres agressives », explique-t-il.

Les avis nuancés s’expliquent certainement par le vide laissé par le décret d’application sur tous les moyens de communication 2.0. Quid de la sollicitation par internet et ses multiples outils, notamment les réseaux sociaux ? Une fois n’est pas coutume, la balle semble nouvelle fois dans le camp de la Cour de cassation.

 

 

Capucine COQUAND


 

[1] Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur

[2] Loi n°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation

[3] Loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques

[4]Article 1 du décret n°72-785 du 25 aout 1972 : Constitue un acte de démarchage «le fait d’offrir ses services, en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique ou de provoquer à la souscription d’un contrat aux mêmes fins, notamment en se rendant personnellement ou en envoyant un mandataire soit au domicile ou à la résidence d’une personne, soit sur les lieux de travail, de repos, de traitement ou dans un lieu public.».

[5] Cass. civ. 1ère, 18 septembre 2008, No. 06-22.038. et Cass. Civ. 1ère, 12 juillet 2007, No. 04-14924

[6] Décret n°2014-1251 du 28 octobre 2014 relatif aux modes de communication des avocats.

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