Suite aux attentats du 14 juillet 2016 à Nice, un collectif d’avocats a pris l’initiative de se constituer dans le dessein d’apporter un accompagnement bénévole aux victimes et à leurs familles.
L’indemnisation des victimes au cœur du projet
Créé par la loi du 6 juillet 1990, le Fonds de garantie des victimes de terrorisme et autres infractions (FGTI) est l’organisme chargé de l’indemnisation des victimes du terrorisme en France.
Dès la survenance de l’acte terroriste, le Procureur de la République informe sans délai le FGTI de l’identité des victimes. Le Fonds se charge alors d’établir le contact avec les victimes et leur famille afin de les informer de la procédure d’indemnisation. Le collectif se propose, quant à lui, de les accompagner dans les démarches qui vont suivre.
Un formulaire de demande d’indemnisation est adressé par la victime au FGTI, laquelle doit contenir une demande chiffrée accompagnée de tous les justificatifs du préjudice. À ce titre, la preuve du préjudice et de la qualité de victime se fait par tous moyens (certificats médicaux, factures, témoignages, preuve de la filiation dans le cas des victimes par ricochet …). Dans le délai d’un mois, le fonds versera à la victime une provision, calculée au prorata de l’indemnisation demandée. Ce n’est que dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande, qu’une véritable offre d’indemnisation sera adressée à la victime. La victime peut accepter cette offre, ou la refuser. En cas de refus, la victime devra saisir la juridiction civile pour obtenir réparation.
Les risques d’abus pointés du doigt : les avocats sur la réserve
Si l’on décompte 85 personnes décédées ainsi que 285 blessés, ce ne sont pas moins de 30 000 personnes qui se trouvaient sur la promenade au moment de l’attaque au camion-bélier. Ainsi, outre les personnes directement blessées et les proches des défunts, toute personne ayant assisté à la scène et pouvant se prévaloir d’un préjudice moral, peut théoriquement prétendre à la qualité de victime. En effet, la nomenclature dite Dintilhac (qui recense tous les postes de préjudices possibles, patrimoniaux ou extrapatrimoniaux, avant et après consolidation) compte comme poste de préjudice celui de la « souffrance endurée ». Dès lors, toute personne présente sur la promenade au soir du 14 juillet est susceptible d’invoquer une souffrance psychique et un traumatisme constituant un préjudice indemnisable.
Jusque-là, aucun souci, toute victime a droit à indemnisation. Mais la question se pose différemment lorsque l’on y insère une donnée fondamentale : comment la preuve de la présence sur les lieux et celle du traumatisme psychique sont-elles apportées ?
À ce titre, il convient de rappeler que la veille de l’attaque de Nice, une femme avait été condamnée pour avoir tenté frauduleusement de se faire passer pour victime présente au Bataclan en novembre 2015. La jeune femme invoquait alors un traumatisme caractérisé par des « flashbacks » et une « dépression ». Une autre femme sera jugée en novembre 2016 pour le même motif, après avoir faussement prétendu être présente à la terrasse d’un des bars parisiens ayant fait l’objet d’une fusillade.
Ne voyant pas ces tentatives frauduleuses d’un bon œil, le collectif s’attend à des abus de la part de personnes intéressées et flairant la possibilité de gagner de l’argent en exploitant la peine des autres. Il va néanmoins sans dire que les avocats impliqués dans le collectif d’une part seront très attentifs à la réalité des préjudices subis, d’autre part sont les professionnels les plus à même d’évaluer la crédibilité des preuves apportées par les prétendues victimes. Notons tout de même qu’il n’est pas impossible que nous voyions dans les mois à venir de nouvelles condamnations pour escroquerie ou tentative d’escroquerie au fond d’indemnisation.
Le fond d’indemnisation est-il suffisant ?
Samedi 16 juillet 2016, Juliette Méadel, secrétaire d’État chargée de l’aide aux victimes, déclarait « Nous veillerons à ce que les victimes, qu’elles soient choquées ou qu’elles soient indirectes, soient indemnisées ». Tout le monde sera, selon le ministère, indemnisé, et rapidement. Or, le FGTI a été fortement fragilisé par la multiplication des attentats, et notamment par ceux de novembre 2015. Ainsi, près de 2200 demandes d’indemnisation ont été déposées suite aux attentats de Paris, et 350 millions d’euros distribués en retour. Avec 30 000 demandes potentielles suite aux attaques de Nice, il va sans dire que le fonds de garantie risque d’être insuffisant.
Si certains (notamment le directeur général d’Axa France) appellent à une augmentation de la « taxe attentat », qui alimente le fonds, certains avocats craignent que ce manque de fonds ne se traduise par l’allocution d’indemnités plus basses qu’escomptées. Il y a fort à parier que si des indemnisations au rabais sont proposées aux victimes, ces dernières opposeront un refus afin de demander au juge une indemnisation convenable.
Il convient alors de se demander à ce stade si le caractère bénévole de l’intervention des avocats du collectif persistera si les victimes qu’ils accompagnent décident d’aller devant le juge civil. En ces temps difficile, il est préférable de croire que l’esprit d’entraide et de solidarité qui préside la création du collectif persistera et que la profession d’avocat s’en verra inspirée pour l’avenir.
Alexandre Jund & Nicolas Planard