Selon l’article L. 5422-20 du Code du travail, les mesures d’application des dispositions légales du régime d’assurance chômage sont prises par les partenaires sociaux, représentés au sein de l’UNEDIC (Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce), par le biais d’accords conclus entre eux. Ces accords, dénommés « conventions UNEDIC », sont négociés sur le plan national et interprofessionnel puis font l’objet d’un arrêté d’agrément, après avis du Conseil national de l’emploi. L’agrément rend obligatoires les dispositions de l’accord pour tous les employeurs du secteur privé et les salariés compris dans son champ d’application professionnel et territorial. L’agrément est rendu pour une durée de validité de deux ans (articles L. 5422-21 et L. 5422-22 du Code du travail).
L’article L.5421-1 du Code du travail dispose que « les travailleurs involontairement privés d’emploi […] ont droit à un revenu de remplacement ». La convention UNEDIC du 14 avril 2017 actuellement en application, tout comme les conventions applicables à l’époque du litige, imposent au salarié privé d’emploi, une condition de résidence sur le territoire français (1) (métropole, départements d’outre-mer hors Mayotte, collectivités d’outre-mer de Saint Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre et Miquelon). En conséquence, dès lors qu’une personne transfère sa résidence hors du territoire national, le versement des allocations doit être interrompu. Cette condition de résidence est remplie dès lors que l’assuré justifie d’une présence de plus de six mois sur le territoire national au cours de l’année civile de versement des allocations (article R. 111-2 du Code de la sécurité sociale).
Par un arrêt du 28 février 2018, la chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur la validité de la condition de résidence. Se posait la question de savoir si les partenaires sociaux pouvaient limiter le bénéfice de l’assurance chômage aux demandeurs d’emploi résidant sur le territoire national sans porter atteinte à la liberté d’aller et venir des assurés ?
En l’espèce, un salarié licencié pour inaptitude, sollicite auprès de Pôle emploi (2) sa prise en charge au titre de l’assurance chômage. Il bénéficie alors pendant six ans (3) de l’allocation de retour à l’emploi (ARE) en étant dispensé de recherche d’emploi (4). Relevant que l’assuré réside aux Etats-Unis depuis sa prise en charge, Pôle emploi le met en demeure de restituer l’intégralité des allocations versées.
L’assuré conteste cette lecture du texte. Il soutient d’une part, que les partenaires sociaux n’ont pas compétence à conditionner le versement de l’ARE à la résidence du bénéficiaire sur le territoire national ; et d’autre part, que cette condition de résidence porte atteinte à sa liberté fondamentale d’aller et venir. Son raisonnement n’a pas été entendu par la Cour d’appel, pas plus que par la Cour de cassation.
Pour débouter le demandeur d’emploi de sa demande, la chambre sociale de la Cour de cassation va estimer que les partenaires sociaux ont compétence pour limiter le bénéfice de l’assurance chômage aux demandeurs d’emploi résidant sur le territoire français (I). Elle va en outre juger que cette condition ne porte pas atteinte à la liberté fondamentale d’aller et venir des assurés (II).
I – La compétence des partenaires sociaux pour limiter le bénéfice de l’assurance chômage aux demandeurs d’emploi résidant sur le territoire français
L’article L. 5422-20 du Code du travail dispose que « les mesures d’application des dispositions du présent chapitre, à l’exception des articles L. 5422-14 à L. 5422-16 et de l’article L. 5422-25, font l’objet d’accords conclus entre les organisations représentatives d’employeurs et de salariés ».
C’est sur le fondement de cet article que le pourvoi formé par l’assuré a contesté la compétence des partenaires sociaux en soutenant que l’article L. 5422-20 du Code du travail ne leur donne compétence que pour prendre des mesures d’application des dispositions légales relatives au régime de l’assurance chômage. La loi ne prévoit, à titre de condition d’attribution, que la privation involontaire d’emploi, l’aptitude au travail, la recherche d’un emploi, sauf dispense, et la satisfaction à des critères d’âge et d’activité antérieure. En aucun cas elle conditionne le versement de l’allocation d’aide de retour à l’emploi (ARE) à la résidence de l’assuré sur le territoire national. Par conséquent, l’ajout d’une condition d’attribution aux dispositions légales ne constitue pas « une modalité d’application de la loi » au sens de l’article L. 5422-20 du Code du travail. Ainsi, le pourvoi conclut que les partenaires sociaux ont outrepassé leur compétence.
La haute juridiction va estimer que ces derniers n’ont pas dépassé leurs pouvoirs en conditionnant le bénéfice de l’assurance chômage à la résidence sur le territoire français. Elle estime en effet que dès lors que le législateur donne pour mission au service public de l’emploi « l’accueil, l’orientation, la formation, l’insertion et l’accompagnement des demandeurs d’emploi » (article L. 5312-1 du Code du travail), il est loisible aux partenaires sociaux, appartenant à ce service public de l’emploi, de conditionner le bénéfice de l’assurance chômage à la résidence sur le territoire national. Cette solution résulte d’une logique simple, dès lors que Pôle emploi, acteur primordial du service public de l’emploi, a pour mission d’accueillir, d’orienter ou de former les demandeurs d’emploi, ces derniers doivent résider sur le territoire national afin de pouvoir bénéficier de ces services.
II – L’absence d’atteinte à la liberté d’aller et venir
Le demandeur d’emploi pour contester la condition de résidence a également estimé que celle-ci portait atteinte à sa liberté d’aller et venir en ce qu’elle entravait son droit de quitter le territoire national. Il estime ainsi que la condition de résidence viole l’article 4 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 qui dispose que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. »
La Cour de cassation a cependant rejeté le pourvoi et approuvé les juges du fond qui estiment que la condition de résidence pour pouvoir bénéficier de l’assurance chômage n’empêche pas les demandeurs d’emploi de se rendre à l’étranger et de s’y établir. L’assuré est donc libre de faire un choix entre sa résidence à l’étranger et le bénéfice de l’assurance chômage française et d’en assumer les conséquences.
Cependant, le fait de s’établir à l’étranger, c’est-à-dire d’y résider de manière stable et régulière va interrompre le bénéfice de l’assurance chômage. La haute juridiction va alors estimer que cette interruption reste proportionnée au but poursuivi par le service public de l’emploi présenté ci-dessus.
Cette solution, logique, ne vient pas remettre en cause la possibilité pour les demandeurs d’emploi de se rendre dans un autre Etat membre de l’Union Européenne, de l’Espace Economique Européen ou en Suisse, dans la limite d’une durée de trois mois, afin d’y rechercher un emploi tout en continuant de percevoir l’indemnisation du chômage prévue par l’assurance chômage française. Cette période de trois mois peut être renouvelée jusqu’à six mois maximum par le régime d’assurance chômage compétent (Art. 64 c) du Règlement (CE) n° 883/2004 du 1er mai 2010). Un arrêt récent de la CJUE a précisé que le régime d’assurance chômage de l’Etat membre compétent n’a aucune obligation de faire droit à cette demande de prolongation. (CJUE, 21 mars 2018, aff. C-551/16, Klein Schiphorst).
(Cass. Soc. 28 févr. 2018, FS-P+B, n° 15-24.181)
HELIAS Solène, étudiante en master DPSE, Ecole de droit de la Sorbonne, Apprentie à la Mutuelle Générale de la Police
LHUISSIER Vincent, étudiant en master DPSE, Ecole de droit de la Sorbonne, Apprenti chez RTE
1-Règlement général annexé à la convention du 14 avril 2017 relative à l’assurance chômage, art 4 f)
2-Les prestations du régime d’assurance chômage sont versées par Pôle emploi pour le compte de l’UNEDIC. (C. trav., art. L. 5312-1 4° et L. 5427-1 al. 2)
3-Conformément à la convention UNEDIC du 18 janvier 2006, alors applicable au litige, le demandeur d’emploi qui, lors de son 60e anniversaire, ne justifie pas du nombre de trimestres requis pour percevoir une pension de retraite à taux plein, peut bénéficier de l’ARE jusqu’à justification de ce nombre de trimestres et, au plus tard, jusqu’à l’âge de 65 ans. Aujourd’hui, cette règle figure à l’article 9 § 3 du règlement général annexé à la convention du 14 avril 2017 et prend en compte l’augmentation de l’âge légal de départ à la retraite visé à l’article L. 161-17-1 du Code de la sécurité sociale.
4-L’article L.5411-8 du Code du travail prévoit des dispenses de recherche d’emploi pour les salariés ayant atteint un certain âge. L’article R. 351-26 alors applicable au litige fixait cet âge à 57 ans et demi. Cet âge est fixé à 60 ans depuis 2011.