Un assouplissement jurisprudentiel pour les CDD de remplacement à répétition

Le Code du travail [1] autorise la conclusion de CDD successifs pour assurer le remplacement d’un salarié absent ou dont le contrat de travail est suspendu. Cependant, se fondant sur l’interdiction de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise [2], la jurisprudence était sévère lorsque l’employeur avait recours à de multiples CDD de remplacement avec le même salarié. En effet, il y avait une quasi automaticité de la requalification en CDI dans ces cas, considérant qu’il s’agissait de faire face à un besoin structurel de main d’œuvre [3].

L’arrêt rendu le 14 février 2018 par la chambre sociale de la Cour de cassation (n° 16-17.966) marque un assouplissement de cette position, sous l’influence de la Cour de justice européenne [4].

En l’espèce, une salariée avait cumulé 104 CDD sur trois ans, en qualité d’agent de service, afin d’assurer le remplacement de salariés absents (congés payés, maladie, maternité …), et demande la requalification de la relation de travail en CDI.
Conformément à la position classique jurisprudentielle, les juges du fond ont fait droit à la demande de la salariée. La cour d’appel de Limoges a considéré que les CDD de remplacement constituaient un besoin structurel de main d’œuvre arguant de leur prévisibilité, et a requalifié la relation de travail en CDI.
Cependant la Cour de cassation en décide autrement et casse la décision des juges du fond, au visa des « articles L. 1242-1 et L. 1242-2 du Code du travail, interprétés à la lumière de la clause 5, point 1, a) de l’accord cadre européen sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999 mis en œuvre par la Directive 1999/70/CE du 28 juin 2000 ».

Nous allons observer comment cet arrêt signe la fin de l’automaticité de la requalification de CDD de remplacement successifs en CDI (I), bien que la requalification reste un contentieux qui s’observera au cas par cas (II).

I- La fin de l’automaticité de la requalification en CDI

La Haute juridiction indique que le seul fait pour l’employeur, de recourir à des CDD de remplacement de manière récurrente, voire permanente, ne saurait suffire à caractériser un recours systématique aux CDD pour faire face à un besoin structurel de main d’œuvre. Ce dernier ne contreviendrait donc pas à l’interdiction de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, étant tenu de garantir à ses salariés le bénéfice des droits à congés maladie ou maternité, par exemple, que leur accorde la loi.

Autrement dit, la Cour de cassation souligne qu’une entreprise ayant un effectif important doit inévitablement procéder à des remplacements temporaires de façon fréquente, et prend donc en compte les besoins pratiques de la gestion des absences au sein d’une entreprise. Désormais, le recours répété à des CDD de remplacement avec le même salarié ne doit plus automatiquement conduire le juge à conclure à la requalification en CDI.

La Cour de cassation demande aux juges du fond de procéder à une analyse au cas par cas, en examinant les circonstances précises de la demande de requalification.

II- Une requalification qui reste cependant au cas par cas

Ce revirement de jurisprudence n’implique pas pour autant la fin de la requalification en CDI en cas d’abus dans les recours aux contrats temporaires. Les juges du fond devront vérifier les circonstances de conclusion des CDD afin de savoir si ces derniers sont justifiés par une raison objective. Ils devront également justifier, dans leur décision, les éléments permettant de considérer que les contrats répondaient en réalité un besoin structurel de main d’œuvre et de pourvoir un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

La sanction de la requalification devrait être utilisée avec plus de parcimonie, impliquant une analyse en cas par cas. Une nouvelle grille de lecture a été donnée par la Cour de cassation, invitant les juges du fond à prendre leur décision au regard « de la nature des emplois successifs occupés » par le salarié et « de la structure des effectifs » de l’entreprise. 

Enfin nous pouvons relever qu’avec les changements ouverts par les ordonnances Macron [5] les contours de ce contentieux étaient amenés à évoluer. En effet, l’opportunité ouverte aux branches de pouvoir déterminer la durée, le nombre de renouvellement ainsi que le délai de carence et la suppression de la requalification automatique lors de la non transmission du contrat dans les deux jours ouvrables, étaient annonciateurs de souplesses vis-à-vis du contentieux en requalification en CDI. La Cour de cassation a donc assoupli sa position, suivant l’esprit des dernières réformes.

Auteur

Pauline Prépin
Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines
Chargée de TD en droit social

[1] Art L. 1242-2 C. trav
[2] Art L. 1242-1 C. trav
[3] Cass. Soc, 13 novembre 2008, n° 06-40.060 ; Cass. Soc, 24 mars 2010, n° 08-42.186 ; Cass. Soc, 2 juin 2010, n° 08-44.630
[4] CJUE, 26 janvier 2012 aff. 586/10, 2e ch., Kücük
[5] Ordonnance n° 2017-1387, 22 septembre 2017, art 22 à 29

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