Appréciation de la faute en matière de diagnostic prénatal

La décision du 7 avril 2016 du Conseil d’Etat vient une nouvelle fois essayer de définir les contours de la notion de « faute caractérisée » dans le cadre de la responsabilité des établissements de santé vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse.

Par leur décision, les juges du Conseil d’Etat[1] ont partiellement annulé la décision des juges du fond au motif qu’à la lumière des circonstances de l’affaire, le défaut d’information sur l’existence d’un risque pathologique grave est constitutif d’une faute caractérisée. Ainsi, la responsabilité des établissements de santé vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse peut être engagée. L’engagement de la responsabilité des hôpitaux publics est admise par le Conseil d’Etat depuis la célèbre décision Dame Veuve (CE, 8 novembre 1935, Veuve L.).

Cette décision du 7 avril 2016 n’a pas fait grand bruit dans les couloirs universitaires, néanmoins elle mérite d’être soulignée, notamment au regard de sa publication au Recueil Lebon.

Les faits étaient les suivants : une parturiente[2] est admise dans un premier établissement de santé pour un retard de développement de son fœtus décelé par son médecin traitant. Les examens révèlent une hypotrophie fœtale conduisant à une hospitalisation dans un second établissement de santé. Des examens sont à nouveau réalisés. Quelques mois plus tard, la patiente donne naissance à une petite fille présentant une arthrogrypose, un pied bot bilatéral ainsi qu’une fente palatine. Son taux d’invalidité est alors estimé à 80%.

Les parents de l’enfant, agissant au nom de leur fille et de leurs trois autres enfants, essayent alors de rechercher la responsabilité des deux établissements de santé. Ils invoquent un défaut de diagnostic de l’état de santé de l’enfant à naitre et un défaut d’information sur les anomalies constatées lors de la grossesse.

Par un jugement du 6 novembre 2012, le tribunal administratif de Nancy rejette ces demandes. Insatisfaits de cette décision, les demandeurs se pourvoient en cassation, la Cour d’appel ayant rejeté l’appel formé contre ce jugement.

Deux points méritent notre attention.

In limine, rappelons que l’article L.114-5 du CASF dispose que « Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance (al1). La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer (al2). Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale (al3) ».

  • Le défaut de diagnostic de l’état de santé de l’enfant à naître

L’alinéa 2 de l’article précité conditionne la réparation du préjudice de la personne née handicapée à la présence d’une faute médicale. Celle-ci devant avoir provoqué directement le handicap ou l’avoir aggravé, ou encore ne pas avoir permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer.

A noter que le Conseil d’État ayant abandonné l’exigence d’une faute lourde en matière d’actes médicaux (CE, Assemblée, 10 avril 1992, Epoux V., n° 79027), la preuve d’une faute simple suffit depuis.

Une exception réside dans le cadre particulier du diagnostic prénatal. Ainsi, l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 a introduit une nouvelle catégorie de faute, la faute caractérisée. La responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé n’est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse qu’à la suite d’une faute caractérisée, comme le souligne l’alinéa 3 de l’article précité qui subordonne l’engagement de la responsabilité du professionnel ou de l’établissement de santé à la présence d’une telle faute.

En l’espèce, pour ce qui est de la demande formulée au nom de l’enfant par ses parents, les juges admettent que le handicap dont l’enfant est atteinte est imputable à une anomalie génétique et non à des actes médicaux susceptibles d’engager la responsabilité des deux établissements de santé.

Concernant la demande formulée par les parents en leur nom propre, les juges retiennent que les médecins ont mis en œuvre avec diligence tous les moyens disponibles sans parvenir à identifier une pathologie du fœtus. L’expert indique notamment que l’absence de détection, lors des échographies, de la fente labiale et de la malposition des pieds trouve son origine dans la difficulté particulière de ces examens du fait de l’immobilité du fœtus et de l’insuffisance du liquide amniotique. Ces absences de détection ne résultent pas d’une faute. La qualité et la quantité des recherches effectuées ne peuvent être remises en cause.

 

Au regard des examens pratiqués, les médecins ont satisfait à l’obligation de moyens qui pèse sur eux dans la recherche d’une pathologie, si bien qu’il ne peut leur être reproché d’avoir commis sur ce point une faute caractérisée.

Ces arguments sont alors rejetés par les juges.

 

  • Le défaut d’information sur les anomalies constatées lors de la grossesse

Les juges de la Haute juridiction administrative retiennent que l’expert soulignait par ailleurs que l’hypotrophie très marquée du fœtus, dont la taille était inférieure au troisième décile, et son immobilité presque totale, laissaient fortement soupçonner une affection grave et qu’alors même qu’aucune pathologie n’avait pu être identifiée. Sans oublier la prise en compte, de la consanguinité des parents et la présence d’un antécédent familial.

Mme F. aurait dû, à son sens, en être informée afin de pouvoir demander l’avis d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal sur la possibilité de pratiquer une interruption médicale de grossesse au titre d’une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable, ainsi que le permettaient les dispositions, alors en vigueur, des articles L. 2213-1 et R. 162-27 du Code de la santé publique (CSP).

Le rapport de l’expert précise que les médecins du second établissement de santé avaient, lors de l’hospitalisation de Mme F., soumis son cas au centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal qui lui est rattaché et que ce centre avait demandé des examens complémentaires sans que l’intéressée en ait été informée. Ce, sans que le dossier fasse apparaître un avis rendu au vu du résultat de ces examens.

 

Partant, en ne retenant pas que le défaut d’information de l’intéressée sur l’existence d’un risque de pathologie grave du fœtus était constitutif d’une faute caractérisée, la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis. L’arrêt contesté est alors annulé partiellement.  Les juges renvoient l’affaire devant le tribunal administratif de Nancy afin que celui-ci règle sur ce point le litige sur le fond.

 

En définitive, les juges estiment que constitue une faute caractérisée au sens de l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles, le défaut d’information sur l’existence d’un risque de pathologie grave du fœtus. C’est bien cet élément qui est l’apport central de cet arrêt. Reste à voir comment les juges de renvoi établiront en l’espèce l’évaluation et le partage des préjudices. Cette décision amorcera-t-elle la création d’un nouveau préjudice, celui de la perte de chance de ne pas avoir été informé de l’existence d’un risque de pathologie grave d’un fœtus ? Ou bien le préjudice de la victime sera-t-il assimilé à un préjudice d’impréparation au risque survenu[3]. La balance penche vers la seconde analyse.

 

Zoom sur la notion de faute caractérisée dans le cadre du diagnostic prénatal.

Dans ce contexte particulier, la faute s’apprécie au cas par cas au regard des aléas et difficultés du diagnostic prénatal et de la gravité de l’atteinte aux droits individuels. On notera la difficulté, pour les juges administratifs et judiciaires, d’évaluer une telle faute, car « le seuil au-delà duquel la faute ne peut être tolérée et doit être qualifiée de « caractérisée », peut s’avérer délicat à apprécier »[4].

Ainsi, pour la Haute juridiction administrative, constitue une faute caractérisée « le fait, pour un centre hospitalier universitaire, d’informer un couple que les analyses de l’amniocentèse pratiquée n’avaient mis en évidence chez l’enfant à naître aucun risque d’amyotrophie spinale infantile, alors que cette information s’est révélée erronée du fait de l’inversion des résultats des analyses pratiquées sur deux patientes » (CE, 19 février 2003, Assistance publique – Hôpitaux de Paris c/ Epoux M., n° 247908).

En revanche, « le défaut d’information relative à la marge d’erreur habituelle dans l’interprétation d’échographies en ce qui concerne l’observation des extrémités des membres du fœtus ne révèle pas une faute caractérisée dans le diagnostic prénatal » (CE, 9 février 2005, Centre hospitalier Emile Roux du Puy-en-Velay, n° 255990).

Dans le même sens, les juges de la Cour de cassation considèrent là encore que « l’omission par un médecin d’informer la mère du retard de croissance intra-utérin, dans la mesure où rien n’avait conduit pendant la grossesse à redouter une malformation de l’enfant (ce dernier, atteint du syndrome dit de « Wolf-Hirschlom », étant né avec un très grave handicap physique et mental) et où les examens avaient été correctement effectués, ainsi que l’abstention d’entreprendre des investigations afin de déterminer les causes de ce retard, ne revêtaient pas les exigences d’intensité et d’évidence constitutifs d’une faute caractérisée » (Civ. 1re, 14 nov. 2013, n° 12- 21.576, D. 2013. 2694, obs. M. Delouvée).

 

                                                                                                                        Elodie Guilbaud

[1] CE, 7 avril 2016, n°376090, Recueil Lebon, Observations sous arrêt : Danièle Cristol, RDSS 2016 p.574

[2] Définition Larousse : femme qui est en train d’accoucher

[3] CE,. 10 octobre 2012, n°350426, Civ. 1re, 23 janv. 2014, n° 12-22.123

[4] Op.cit.préc., Danièle Cristol, RDSS 2016 p.574

POUR EN SAVOIR PLUS

Site du Conseil d’Etat, Etudes et Publications, Dossiers Thématiques, L’engagement de la responsabilité des hôpitaux publics, mis en ligne le 5 janvier 2015, conseil-etat.fr

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