Hicham RASSAFI
Université de Valenciennes, Master II Contrats publics
Université Lille 2, Master II Droit public de l’entreprise
Les écoles économiques structurent, aujourd’hui, largement les débats politiques. Elles ont un rôle particulièrement important dans l’analyse du comportement des agents et toute entreprise se doit de prendre en compte certains facteurs économiques. Cette science a réussi à faire de l’homme un modèle économique défini sous le terme « homo economicus ». S’il est certain que les théories micro-économiques se passent rarement de ce concept, bien qu’il ne fasse pas l’objet d’un définition identique ni que ses contours soient toujours les mêmes, les théories macro-économiques se divisent selon un critère simple : le rôle de l’Etat dans l’économie[1].
Ainsi, pour certaines d’entre elles, l’Etat n’a pour fonction, schématiquement, que d’assurer la sécurité des personnes et des biens, alors que pour d’autres, au contraire, l’Etat ne doit pas laisser à la seul « main invisible » d’Adam SMITH la direction des marchés. Selon l’une ou l’autre de ces écoles, l’intervention économique étatique sera donc soit combattue, soit sollicitée. Il n’en reste pas moins, au delà des discussions théoriques, qu’aucun pays au monde n’a jamais délaissé complètement son rôle dans l’économie, quand bien même serait-elle la plus libérale.
L’Etat agit donc dans l’économie, selon différentes formes, au moyen de différents outils, jouant de sa puissance sur différents leviers. Mais la forme par excellence de l’intervention économique de l’Etat, l’idéal-type de son action sur les marchés, et en tout cas, la plus visible, reste bien l’aide d’Etat.
De fait, cet outil est largement saisi par le droit. Et pour cause, les économies libérales font souvent fasse à une contradiction intrinsèque: comment assurer un équilibre du marché définit de façon interne par ses agents et comment, par ailleurs, justifier l’intervention de l’Etat ? Soit l’on admet que l’équilibre résulte d’un optimum sur le marché, soit on réfute ce postulat et l’on admet le besoin d’Etat. Soutenir à la fois l’intégrité absolue de ces deux assertions relève soit de la schizophrénie, soit de la communication politique. Ainsi, la plupart des théories modernes, largement secouées par la crise systémique de 2008/2009, tente de concilier la liberté sur les marchés et l’interventionnisme étatique, au nom de l’imperfection relative de ceux ci.
C’est la raison pour laquelle les aides d’Etat sont largement encadrées par les normes contraignantes : si elles sont permises, c’est à titre d’exception, entendue au sens juridique du terme, c’est à dire strictement limitées aux besoins essentiels insusceptibles d’être correctement satisfaits par les opérateurs privés.
Les Traités communautaires sont largement empreints de cette logique. Ne serait-ce l’attachement résolue à la théorie ordo-libérale, la volonté d’émergence d’un marché commun entraîne par elle même la nécessité de règles identiques et de relations homogènes Etat – entreprises.
Ainsi, l’Union se doit de prévoir des normes et des outils juridiques complets et aptes à s’approprier les logiques économiques. En effet, le principe d’interdiction n’a d’effet utile qu’en présence de sanctions, qui elle mêmes doivent être décidées en fonction d’outils offrant une compréhension des situations économiques. Or, un état de structure économique n’a de sens que révélé par le prisme d’une théorie économique. Les outils juridiques n’ont donc de sens que saisis par le prisme de ces théories. Ainsi, par exemple, l’outil juridique du contrat de travail peut être vu, économiquement, sous deux angles opposés : soit il s’agit de l’outil par lequel se réalise l’équilibre sur le marché du travail, dans la théorie libérale, soit il s’agit d’un instrument d’exploitation économique et surtout d’aliénation du prolétaire par le capitaliste, conformément à l’approche marxiste[2]. Selon le présupposé économique, l’outil juridique ne sera pas appréhendé de la même façon et son régime différera. Ce qui nous amène à considérer que la problématique fondamentale dans la question de la concordance de l’approche économique et de l’approche juridique des aides d’Etat réside bel et bien dans la distorsion des outils juridiques par les doctrines économiques. Comment le droit saisi l’économie et comment celle-ci parvient en retour à déformer la perspective des outils juridiques mis en place ?
L’examen des règles communautaires relatives aux aides d’Etat amène le lecteur à une double constatation : d’un point de vue à la fois in abstracto et macro-économique, le droit, s’il parvient globalement justifier l’intervention économique de l’Etat, certaines approches juridiques demeurent économiquement peu défendables (I). Au niveau, ensuite, de la question de la justiciabilité de ces règles, et d’un point de vue à la fois in concreto et micro-économique, il convient de conclure à l’insaisissabilité économique des critères mis en œuvre dans la qualification juridique d’aides d’Etat (II).
[1] E. COMBE, Précis d’Economie, Collection Major, Presses Universitaires de France, Paris, 2007, p.206 et s. [2] E. COMBE, Précis d’Economie, préc. p.68 et s |