Analyse comparative du droit de mourir

Ces dernières années, nombre de pays ont voté des lois pour encadrer et développer les soins palliatifs mais peu ont franchi l’étape de l’euthanasie. Le président de la république François Hollande a rappelé, lors de sa conférence de janvier, sa volonté de faire voter une loi permettant l’«aide active à mourir».

 

Il est parfois difficile de distinguer les nuances encadrant la mort d’une personne médicalement assistée mais ces distinctions sont essentielles car elles nous placent, en fonction de la qualification et du pays concerné, sous la protection de la loi où dans l’attente de sa sanction.

 

Dans un premier temps il faut distinguer les soins palliatifs qui visent essentiellement à soulager la douleur du patient en attendant que la nature opère librement. Les soins palliatifs se résument souvent en l’injection de sédatifs qui, à forte dose, peuvent entraîner la mort, faisant glisser le médecin dans une autre situation juridique.

 

La deuxième situation est celle de l’euthanasie passive qui signifie l’arrêt de tout soin ou traitement susceptible de maintenir la vie du patient. Il n’y a pas ici de geste qui donne la mort mais simplement la suppression de tout ce qui pourrait l’empêcher.

 

Enfin il faut distinguer les deux situations précédentes de l’euthanasie active où l’on injecte directement au patient un produit qui va mettre fin à ses jours et à ses souffrances.

 

I. La situation actuelle en France

 

Originellement, l’euthanasie passive en France se voit confrontée à l’article 223-6 du code pénal condamnant la non-assistance à personne en danger, repris à l’attention des médecins par l’article 9 du Code de déontologie médicale. La loi Léonetti du 22 avril 2005 relative aux droits des patients en fin de vie est venue modifier la législation française afin de proposer une alternative.

 

L’article L. 1110-5 alinéa 2 du Code de la santé publique dispose désormais que « Ces actes (les soins) ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110-10. » 

 

Les soins visés par l’article L. 1110-10 du même code sont les soins palliatifs et les différents articles crées par la loi Léonetti vont renvoyer vers cette possibilité. Le médecin français se doit de respecter la volonté du patient parfaitement informé et, si celui-ci, « en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, décide de limiter ou d’arrêter tout traitement »[i], le médecin respectera son choix, assurant la qualité de sa fin de vie grâce aux soins palliatifs.

 

De même, l’alinéa 5 du même article introduit la doctrine de l’acte à double effet, initialement de droit anglais[ii], autorisant le médecin à administrer un cocktail médicamenteux qui aura pour but initial de soulager le patient en phase avancée ou terminale mais qui pourra avoir, comme effet secondaire, le fait d’abréger la vie du patient. En ne cherchant pas volontairement à donner la mort, le médecin, ici, ne remplit pas l’élément moral du meurtre où animus necandi et se protège ainsi de toute poursuite pénale.

 

La loi Léonetti permet donc au médecin français de pratiquer les soins palliatifs ainsi que l’euthanasie passive à la demande du patient mais pas de porter un acte dans le but de provoquer la mort de ce dernier.

 

Si le médecin glissait, par ses actes, dans la situation de l’euthanasie active, alors il se verrait appliquer l’article 221-1 du code pénal qui prévoit que le meurtre est le fait d’ôter volontairement la vie ou encore l’article 221-5 du même code prévoyant que le fait d’administrer des substances de nature à entraîner la mort constitue un empoisonnement.

 

La volonté du patient est donc au cœur du processus de fin de vie et de la loi Léonetti mais que faire lorsque celui-ci n’est pas apte à donner un consentement ?

 

En pareil situation, l’article L. 1111-4 alinéa 5 du code de la santé publique renvoi à la procédure collégiale décrite par le code de déontologie médicale. Le code prévoit que « la décision de limitation ou d’arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient, après concertation avec l’équipe de soins si elle existe et sur l’avis motivé d’au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L’avis motivé d’un deuxième consultant est demandé par ces médecins si l’un d’eux l’estime utile. »[iii]. L’équipe médicale devra prendre en compte l’état de santé du patient mais aussi consulter la personne de confiance désignée par le patient, la famille, les proches ou encore les directives anticipées si elles existent.

 

II. La loi Suisse

 

La situation suisse est plus complexe à comprendre car plus nuancée. Il n’existe pas en Suisse de législation autorisant l’euthanasie active et tout acte qui irait dans ce sens serait normalement passible de poursuites pénales.

 

L’article 114 du Code pénal suisse prévoit en effet la condamnation de celui qui « cédant à un mobile honorable, notamment à la pitié, aura donné la mort à une personne sur la demande sérieuse et instante de celle-ci »

 

Mais l’article lui succédant vient jeter le trouble sur cette règle. L’article 115 va condamner l’aide au suicide mais seulement lorsque celle-ci est « poussé par un mobile égoïste », laissant donc, à contrario, la possibilité d’aider au suicide pour des motifs autre qu’égoïste. Nous sommes donc là dans une situation qui dépasse l’euthanasie passive sans être toutefois dans de l’euthanasie active.

 

De par cette confusion sont nées des associations qui accompagnent les patients jusqu’à leur suicide. Ces associations permettent aux malades d’être encadrés par des médecins avant d’ingérer une boisson létale.

 

A cela vient se rajouter un jugement du Tribunal du district de Boudry du 6 décembre 2010. Était entendue Daphné Berner, ancien médecin pour une association d’aide au suicide, qui comparaissait pour euthanasie active. Mme Berner avait accepté de mettre fin aux jours de sa patiente, vouée à mourir par asphyxie à cause d’une sclérose latérale amyotrophique et entièrement paralysée.

 

Le Tribunal a reconnu que les conditions de l’article 114 du code pénal étaient remplies mais a tout de même décidé d’acquitter Mme Berner. Le Tribunal a estimé que dans certaines situations, une personne n’a d’autre choix que de violer l’article 114 afin de préserver l’intégrité physique, psychique, la dignité humaine ainsi que la volonté de la patiente.

 

En l’espèce, la patiente souffrait d’une maladie incurable, en phase terminale, et endurait des souffrances insupportables et irrémédiables, impossibles à soulager. Le Tribunal a donc accepté l’état de nécessité. Ce jugement reste en revanche limité au Canton de Boudry, le procureur n’ayant pas renvoyé le dossier devant les instances fédérales.

 

III. L’adoption québécoise

 

Ce 5 juin, l’Assemblée nationale du Québec a adopté le projet de loi 52 qui a pour but d’autoriser l’euthanasie active dans la province canadienne et qui entrera en application dans 18 mois. L’article 3 de la loi définit les soins de fin de vie comme « les soins palliatifs offerts aux personnes en fin de vie, y compris la sédation palliative terminale, de même que l’aide médicale à mourir. »

 

Selon le texte, la sédation palliative terminale pourra être administrée dans un établissement de santé, dans les locaux d’une maison de soins palliatifs ou encore à domicile. Dans ce dernier cas, le soin est donné par un médecin ou une infirmière mais sous la surveillance de l’instance locale du territoire ou est situé le cabinet.

 

L’article 26 de la loi va établir les critères à respecter afin d’obtenir l’aide médicale à mourir. Pour cela, il faut que le patient soit majeur, apte à consentir aux soins, atteint d’une maladie grave ou incurable, que sa situation médicale se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités et enfin qu’il éprouve des souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge tolérables.

 

Le même article prévoit que le patient doit remplir et signer un formulaire demandant l’aide médicale à mourir où le faire remplir par un tiers s’il n’en a pas la capacité physique. Ce tiers ne pourra être un mineur ou un majeur sous tutelle ni même un membre de l’équipe médicale.

 

Le médecin devra contrôler le respect de ces conditions, que le patient a bien été informé de la situation et qu’aucune pression ne pèse sur lui. De plus il devra obtenir l’avis d’un second médecin indépendant.

 

Une commission sur les soins de fin de vie sera mise en place dans les prochains mois. Son but sera d’informer le ministre des soins pratiqués et des changements à effectuer. De plus, la commission recevra un rapport de chaque médecin ayant pratiqué l’aide médical à mourir et en contrôlera le respect des obligations légales.

 

Enfin l’article 45 de la loi donne la possibilité à chaque personne majeure et apte à consentir, la possibilité d’établir des directives médicales anticipées pour le cas où elle se trouverait dans une situation ou son consentement ne pourrait être obtenu.

 

Suite à l’adoption du texte par l’Etat fédéré, le gouvernement fédéral d’Ottawa se questionne sur une possible contestation du texte qui pourrait contrevenir à l’article 241 du Code criminel, législation fédérale[iv]. Cette décision irait aussi à l’encontre d’une décision de la Cour de la Colombie-Britannique qui pourrait, si elle était confirmée par la Cour suprême du Canada, autoriser le suicide assisté dans toutes les provinces canadiennes[v].

 

IV. La reconnaissance belge

 

C’est la loi du 28 mai 2002, modifiée en 2014, qui a autorisé l’euthanasie active en Belgique. La demande devait originalement émaner d’un majeur ou d’un mineur émancipé, capable et conscient au moment de sa demande.

 

Le demande doit être écrite, volontaire et ne pas subir de pression extérieure. Le patient devra être dans une situation médicale sans issue, subissant une souffrance physique ou psychique constante, insupportable et inapaisable. Enfin, son état doit être dû à une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable.

 

La demande doit être écrite et signée par le patient ou, s’il en est incapable, par un tiers qui « n’a aucun intérêt matériel au décès du patient »[vi] et en présence du médecin.

 

En revanche, la loi belge ne donne pas le droit à l’euthanasie mais le droit d’en faire la demande, le patient devra trouver un médecin qui accepte d’y procéder, celui-ci sera irresponsable pénalement si les conditions légales sont remplies. Une vérification sera opérée par la Commission de contrôle et d’évaluation.

 

Le médecin devra parfaitement informer le patient de sa situation, prendre avis auprès d’un autre médecin indépendant et, si le patient peut survivre jusque-là, laisser s’écouler un mois entre la demande écrite et l’euthanasie.

 

A l’image du projet québécois, le droit belge donne la possibilité de faire une déclaration anticipée afin de prévenir l’éventuelle situation ou le patient ne serait plus capable de donner son consentement, mais cette déclaration devait avoir été réalisée moins de cinq ans avant l’euthanasie.

 

Le 13 février dernier, le Parlement belge est venu apporter des modifications à la loi de 2002. Tout d’abord elle supprime la durée de validité de la déclaration anticipée puis étend le champ d’application de la loi aux mineurs. La loi prévoit que le mineur doit être en capacité de prendre conscience du problème de l’euthanasie, d’avoir la capacité de discernement, sans toutefois imposer un âge minimum comme l’ont fait les Pays-Bas.

 

Le législateur belge part du constat que chaque enfant est différent et que la maladie fait mûrir prématurément celui-ci de sorte qu’il serait arbitraire de prévoir un âge minimum.

 

Malgré une pétition de 200 000 signatures pour entériner le projet de réforme, le Roi des belges a promulgué le texte de loi ce 2 mars 2014[vii].

 

 

Luiggi Alexandre, diplômé d’un master de droit des affaires et d’un master 2 de droit comparé appliqué de l’université Aix-Marseille. Actuellement en baccalauréat de droit à l’université du Québec à Montréal.

 

 

Aller plus loin

 

Projet de loi 52 :

 

http://www.assnat.qc.ca/Media/Process.aspxMediaId=ANQ.Vigie.Bll.DocumentGenerique_72865&process=Default&token=ZyMoxNwUn8ikQ+TRKYwPCjWrKwg+vIv9rjij7p3xLGTZDmLVSmJLoqe/vG7/YWzz

 

La réglementation suisse :

 

http://www.senat.fr/lc/lc49/lc495.html

 

http://jurisprudence.ne.ch

 

La réglementation belge :

 

http://www.ieb-eib.org/en/pdf/l-20020528-euthanasie.pdf

 

http://www.lachambre.be/FLWB/PDF/53/2633/53K2633001.pdf

 

 


[i] Article L. 1111-10 du code de la santé publique

[ii] http://www2.univ-mlv.fr/revuethique/pdf/fondras2.pdf

[iii] R. 4127-37 II alinéa 2 du code de santé publique

[iv] http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2014/06/08/001-quebec-mourir-vivre-dans-dignite-loi-52.shtml

[v] http://www.droit-inc.com/article12444-Euthanasie-des-medecins-croient-qu-il-faut-se-preparer-a-encadrer

[vi] Article 3 §4 de la Loi relative à l’euthanasie. ( M.B. 22/06/2002 )

[vii] http://www.lalibre.be/actu/belgique/le-roi-a-signe-la-loi-sur-l-extension-de-l-euthanasie-531057e535708d729d84c1ab

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