Lorsque la faute de l’administration et celle d’un tiers ont concouru à la réalisation d’un même dommage, le tiers co-auteur condamné par le juge judiciaire peut se retourner contre l’administration en invoquant la faute de cette dernière, y compris lorsqu’il a commis une faute inexcusable.
Le drame de l’amiante touchant de nombreux salariés avait donné lieu en 2002 à un assouplissement de la définition de la faute inexcusable. La Cour de cassation (1) avait posé comme principe : « l’employeur était tenu par une obligation de sécurité de résultat et que la méconnaissance de cette obligation avait le caractère d’une faute inexcusable lorsqu’il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’avait pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ».
La réparation des dommages dus à l’amiante connaît aujourd’hui une nouvelle étape. Le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 9 novembre 2015 (2), reconnait aujourd’hui un partage de responsabilité entre l’employeur et l’Etat. Le seul fait qu’un employeur privé ait été condamné pour faute inexcusable ne lui interdit pas de se retourner contre une personne publique qui serait partiellement responsable du dommage subi par son salarié.
Le Conseil d’Etat était saisi de deux affaires posant la même question de droit : un employeur privé, condamné pour faute inexcusable par le juge judiciaire, peut-il se retourner contre une personne publique qui a contribué au dommage du salarié ?
Dans la première affaire, MAIF et Association Centre Lyrique d’Auvergne du 9 novembre 2015 (n°359548), un électricien a été victime d’un accident du travail dans une salle prêtée par la commune de Clermont Ferrand. L’association qui embauchait le salarié, ainsi que son assureur, demandait à la ville de les garantir contre les condamnations qu’avait entrainées cet accident. Dans la seconde, la société Constructions Mécanique de Normandie (n°342468) réclamait le remboursement des sommes qu’elle a été condamnée à verser à ses salariés suite à sa condamnation pour exposition à l’amiante.
Si, dans un premier temps, les Cours administratives d’appel avaient fait application de la jurisprudence Société Souchon (3), qui excluait tout recours de l’employeur condamné pour faute inexcusable, le conseil d’Etat abandonne cette jurisprudence pour considérer : « qu’en principe, la responsabilité de l’administration peut être engagée à raison de la faute qu’elle a commise, pour autant qu’il en soit résulté un préjudice direct et certain ; que lorsque cette faute et celle d’un tiers ont concouru à la réalisation d’un même dommage, le tiers co-auteur qui, comme en l’espèce, a été condamné par le juge judiciaire à indemniser la victime peut se retourner contre l’administration en invoquant la faute de cette dernière, y compris lorsqu’il a commis une faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale ».
Le juge estime donc, qu’une entreprise, même condamnée pour faute inexcusable, peut se retourner contre l’Etat si celui-ci a lui-même commis une faute qui a concouru à la réalisation des préjudices subis par l’employeur. Ce n’est que si ce dernier a commis une faute d’une particulière gravité que l’Etat se trouve exonéré.
Il appartient toujours à la Cour de trancher la première affaire. Cependant dans la seconde, le Conseil d’Etat a choisi de régler elle-même l’affaire au fond, et définir « l’exception d’illégitimité », quand la faute de l’employeur est telle qu’elle exclut la responsabilité de l’Etat.
Pour cette exception, elle va distinguer deux périodes : antérieurement à l’entrée en vigueur du décret du 17 aout 1977 et postérieurement. Bien que la nocivité du produit ait été connue depuis de nombreuses années, les pouvoirs publics n’ont réglementé son usage qu’en 1977. Le Conseil d’Etat a donc considéré que les responsabilités étaient partagées car la société avait elle-même commis une faute en employant massivement de l’amiante durant cette période.
Le Conseil d’Etat énonce que « la société requérante a ainsi commis une faute en s’abstenant de prendre des mesures de nature à protéger ses salariés ; que si, eu égard à l’utilisation massive de l’amiante alors acceptée en France et à la nature des activités de l’entreprise, cette faute n’a pas le caractère d’une faute d’une particulière gravité délibérément commise, qui ferait obstacle à ce que cette société puisse se prévaloir de la faute de l’administration, elle n’en a pas moins concouru à la réalisation du dommage ».
L’Etat a été en conséquence condamné à prendre en charge le tiers des sommes déboursées par l’employeur à divers titres.
En revanche, le Conseil d’Etat rejette tout partage de responsabilité pour la période postérieure à 1977, dans la mesure où l’entreprise n’avait pas respecté la nouvelle réglementation.
Enfin, cette avancée ne concerne pas seulement l’amiante, car l’affaire du même jour, a été renvoyé devant une nouvelle cour administrative d’appel. Le Conseil d’Etat balayant l’argument selon lequel la société avait commis une faute inexcusable dégageant ainsi la responsabilité de l’Etat.
(1) Cass. soc. 28 février 2002, n° 00-11793
(2) CE, 9 novembre 2015, req. n° 359548 et n°342468
(3) CE, 18 avril 1984, req. n°34967
Johanna Dos Santos
Sources :