Amiante: un pas de plus vers un régime d’indemnisation du préjudice d’anxiété

Dans l’hypothèse où les salariés renoncent à leur indemnisation liée à la réalisation d’un préjudice d’anxiété, ils ne peuvent pas demander l’obtention de dommages et intérêts en invoquant un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat. Telle est la solution qui découle de l’arrêt du 27 janvier 2016.

L’apparition et l’évolution de la reconnaissance d’un préjudice d’anxiété

Le préjudice d’anxiété peut se définir comme le fait de vivre en permanence avec l’angoisse de voir une maladie se déclarer. Il est reconnu aux personnes n’ayant pas encore développé la maladie mais dont le risque est élevé.

En matière d’amiante, la reconnaissance du préjudice d’anxiété par les juges est relativement tardive. En effet, ce n’est qu’en 2009 que la Cour d’appel de Bordeaux a estimé que « la légèreté de l’employeur dans la mise en œuvre de son obligation de sécurité alors qu’il devait en assurer l’effectivité n’a pu que majorer l’inquiétude dans laquelle vit le salarié qui redoute à tout moment de voir se révéler une maladie liée à l’amiante et doit se plier à des contrôles et des examens réguliers qui par eux même réactivent cette angoisse » (1).

Après cette consécration, le préjudice d’anxiété a fait l’objet d’une évolution jurisprudentielle marquante.

En 2010, la Chambre sociale de la Cour de cassation a reconnu un préjudice d’anxiété « spécifique ». L’indemnisation ne jouait en effet que pour les salariés exposés à un risque avéré et d’une réelle gravité pour la santé. Ces travailleurs étaient donc soumis à des contrôles et examens réguliers. Plus précisément, la Chambre sociale énonce que : « Les salariés qui avaient travaillaient dans un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi de 1998 (2) et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante qui se trouvaient dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de développement à tout moment d’une maladie liée à l’amiante et étaient amenés à subir des contrôles et examens réguliers propres à réactiver cette angoisse » (3).

Dans un arrêt de 2014, la Cour de cassation s’attarde, cette fois-ci, sur l’élément de preuve. La Chambre sociale précise en effet que les salariés n’ont pas à rapporter la preuve du préjudice d’anxiété qui leur a été causé par le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. Le préjudice est reconnu, pour le salarié, du seul fait d’avoir travaillé dans les conditions de l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 dans des établissements et aux périodes visées par les arrêtés ministériels. La Cour de cassation affirme en effet que les juges du fond « avaient constaté que les salariés avaient travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante ». Par conséquent, les salariés « pouvaient prétendre à l’indemnisation d’un préjudice d’anxiété réparant l’ensemble des troubles psychologiques induits par l’exposition au risque »(4).

Cette jurisprudence a été confirmée par un arrêt du 3 mars 2015 qui affirme le caractère automatique entre l’exposition à l’amiante et un préjudice d’anxiété (5).

Ces contentieux amènent à se demander si, dans le cas où l’indemnisation d’un préjudice d’anxiété serait écartée, un salarié pourrait valablement obtenir des dommages et intérêts en se fondant sur l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur.

Les conséquences en cas de renonciation de l’indemnisation du préjudice d’anxiété

La Cour de cassation, dans un arrêt du 27 janvier 2016 (6) affirme que le salarié qui renonce à l’indemnisation d’un préjudice d’anxiété ne peut obtenir de dommages et intérêts en raison du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat.

En l’espèce, 87 salariés ont été engagés par la branche navale de la société chantiers du nord et de la Méditerranée qui, par un arrêté du 7 juillet 2000, a été inscrite sur la liste des établissements susceptibles d’ouvrir droit au dispositif de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante. Les salariés ont saisi la juridiction prud’homale en invoquant une exposition à l’amiante dans l’exécution de leur travail. Ils demandaient qu’une indemnisation, en dehors du préjudice d’anxiété, leur soit allouée pour le préjudice découlant du manquement de leur employeur à son obligation de sécurité de résultat. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, le 14 novembre 2014, les a débouté de leurs demandes.

Les salariés ont alors formé un pourvoi en cassation, soutenant que  l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat, doit en assurer l’effectivité. Tout manquement à cette obligation cause nécessairement un préjudice au salarié, lequel résulte non de la seule exposition, mais de la connaissance du danger encouru.

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle précise avant tout que « le préjudice moral résultant pour un salarié du risque de développer une maladie induite par son exposition à l’amiante est constitué par le seul préjudice d’anxiété dont l’indemnisation répare l’ensemble des troubles psychologiques résultant de la connaissance d’un tel risque ». En outre, elle affirme que « les salariés avaient renoncé à leur demande d’indemnisation d’un préjudice d’anxiété ; qu’ayant dès lors écarté l’indemnisation d’un préjudice, présenté comme distinct, résultant du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat ». Les salariés ne pouvaient donc obtenir de dommages et intérêts pour un préjudice fondé sur ce même manquement de l’employeur.

Cet arrêt précise encore un peu plus le régime d’indemnisation du préjudice d’anxiété en matière d’amiante. Il rappelle notamment que seul le préjudice d’anxiété, constitué par l’angoisse de voir se développer une maladie due à l’exposition à l’amiante, permet d’allouer une indemnisation fondé sur le préjudice moral. Par conséquent, aucune autre indemnisation, telle que des dommages et intérêts, ne peut être donnée sur le fondement du préjudice moral.

Fiona Laverriere

(1) CA Bordeaux, 07 avril 2009, n° 08-04.292

(2) Art 41 I. de la loi 1998 : « I. – Une allocation de cessation anticipée d’activité est versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l’amiante, sous réserve qu’ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu’ils remplissent les conditions suivantes :

1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget, pendant la période où y étaient fabriqués des matériaux contenant de l’amiante ;

2° Avoir atteint un âge déterminé, qui pourra varier en fonction de la durée du travail effectué dans les établissements visés au 1° sans pouvoir être inférieur à cinquante ans ».

(3) Cass soc, 11 mai 2010, n°09-42.241

(4) Cass soc, 02 avril 2014, n° 12-286.16

(5) Cass soc 03 mars 2015 n° 13-20.486

(6) Cass soc, 27 janvier 2016 n° 15-10.640

Sources:

http://www.wk-ce.fr/actualites/detail/92244/prejudice-d-anxiete-et-manquement-a-l-obligation-de-securite-de-resultat-la-cour-de-cassation-intraitable.html

http://www.dalloz-actualite.fr.camphrier-1.grenet.fr/flash/amiante-l-etendue-de-l-indemnisation-pour-prejudice-d-anxiete#.VuyG1cvmqM8.

http://www.dalloz.fr.camphrier-2.grenet.fr/documentation/Document?id=RECUEIL/CHRON/2010/0526&ctxtl=0_cyRwYWdlTnVtPTHCp3MkdHJpZGF0ZT1GYWxzZcKncyRzbE5iUGFnPTIwwqdzJGlzYWJvPVRydWXCp3MkcGFnaW5nPVRydWXCp3Mkb25nbGV0PQ==&nrf=0_UmVjaGVyY2hlfExpc3RlfGRfQ0FTU19MSUVVVklERV8yMDEwLTA1LTExXzA5NDIyNDE=

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.