Affaire Matelly: le manquement à l’obligation de réserve des militaires ne justifie pas une décision de radiation des cadres.Dans un arrêt du 11 janvier 2011[1], le Conseil d’Etat a annulé le décret et M. Matelly doit donc être réintégré à son poste et percevoir sa solde depuis le jour de sa radiation.
M. Jean-Hugues Matelly, chef d’escadron de la gendarmerie nationale, a fait l’objet, par un décret du 12 mars 2010 du Président de la République, d’une mesure de radiation. Cette mesure disciplinaire rompt définitivement tout lien entre l’administration et son agent. Cette décision avait été prise quelques mois après l’avis rendu par le conseil d’enquête, c’est à dire l’instance disciplinaire de la gendarmerie, saisie du cas du l’officier par la Direction de la gendarmerie nationale (DGGN).
Rappelons que M. Matelly avait intégré l’un des meilleurs laboratoires français étudiant les questions de sécurité : le Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales de Laurent Muchielli, au CNRS. Dans le cadre de ces travaux scientifiques, il publie avec ce dernier et leur collègue Christian Mouhanna, dans une revue spécialisée, un article titré « Feu la gendarmerie nationale », dans lequel il critiquait le rapprochement de son institution avec la police, au moment même où l’organisation des deux grands services français dédiés à la sécurité publique était en débat devant le Parlement. Il avait également émis des critiques dans un article publié sur le site internet Rue 89 et dans une émission radio, intitulé « la gendarmerie enterrée, à tort, dans l’indifférence générale ».
Pour la DGGN, l’officier avait exprimé « une désapprobation claire vis-à-vis de la politique conduite par le gouvernement » et outrepassé « l’exigence de loyalisme et de neutralité liée à son statut militaire ». En effet le Conseil d’Etat estime que conformément à l’article L4121-2 du Code de la défense, relatif à l’exercice des droits civils et politiques des militaires, les opinions des militaires ne peuvent être exprimées qu’avec « la réserve exigée par l’état militaire ». Les propos tenus par l’intéressé ayant dépassé cette réserve, ils constituaient une faute professionnelle justifiant une sanction disciplinaire. M. Matelly a sollicité la suspension en urgence de cette décision de radiation, ainsi que son annulation et sa réintégration au sein de la gendarmerie.
Le 29 avril 2010, le juge des référés du Conseil d’État avait fait droit partiellement à la demande de suspension, permettant à M. Matelly de conserver sa rémunération et la jouissance de son logement de fonction, en attendant que le Conseil d’État prenne la décision qui tranche définitivement le litige. Rappelons que l’intéressé avait déjà manqué par le passé à son obligation de réserve pour avoir critiqué, dans le cadre de son programme de chercheur au CNRS, la fausseté des chiffres de la délinquance annoncés par la gendarmerie, ce qui avait alors justifié le prononcé d’un blâme. La Cour Européenne des Droits de l’Homme a été saisie et, par un arrêt Matelly c. France[2] a estimé ne pas devoir sanctionner la France, estimant que si « l’article 10 ne s’arrête pas aux portes des casernes », les « particularités de la condition militaire et […] ses conséquences sur la situation des membres des forces armées » peuvent permettre à « l’Etat [d’] imposer des restrictions à la liberté d’expression là où existe une menace réelle pour la discipline militaire ».
Dans un arrêt du 11 janvier 2011, le Conseil d’Etat a annulé le décret et M. Matelly doit donc être réintégré à son poste et percevoir sa solde depuis le jour de sa radiation.
Le Conseil d’État juge tout d’abord que M. Matelly a effectivement manqué à ses obligations en faisant état publiquement, dans les médias, de son opposition à la politique d’organisation des deux grands services français dédiés à la sécurité publique, au moment même où celle-ci était en débat devant le Parlement. Les propos tenus par l’intéressé ayant dépassé l’obligation de réserve, ils constituaient une faute professionnelle justifiant une sanction disciplinaire. Il ne peut invoquer son statut de chercheur pour se prévaloir de la liberté d’expression reconnue aux universitaires. Mais il a ensuite jugé que la sanction prononcée était « disproportionnée« .
Les propos tenus fin 2009 constituaient une critique de fond, sous la forme d’une défense de la gendarmerie, formulée en termes mesurés et sans caractère polémique. En outre, le juge a tenu compte des états de service du militaire et de ses notations, lesquels étaient excellents. Pour le Conseil d’Etat, « en faisant le choix de la mesure disciplinaire la plus lourde, équivalente à un licenciement, alors qu’elle disposait d’un éventail de sanctions large – notamment la possibilité de prendre une mesure de retrait temporaire d’emploi allant jusqu’à 12 mois – l’administration a prononcé à l’encontre de cet officier de gendarmerie une sanction manifestement excessive ». Le Conseil d’État annule donc cette sanction et enjoint au ministre de la défense de réintégrer M. Matelly dans son corps d’origine. On peut aussi considérer qu’il ne s’agissait pas d’une critique politique: quand une réforme est technique, la critique ne peut être que technique, puisque fondée sur des éléments objectifs.
Ce qui est remarquable est l’entrée du débat dans la sphère politique. « L’affaire Matelly » en vient à être évoquée à l’Assemblée nationale durant les débats sur la loi « gendarmerie », le 2 juillet 2009 ainsi que lors de la séance des questions au gouvernement le 7 juillet 2009 ou encore commentée dans les médias par des députés. La situation a changé depuis la première affaire Matelly : la gendarmerie a du se rapprocher de la police, dans des conditions extrêmement difficiles en terme de management, puisque tant le régime des disponibilités (le gendarme ne connaît pas les 35 heures), que les conditions d’emploi (usage des armes) et la représentation du personnel (pas de syndicats dans l’armée…) font qu’il existe une discrimination objective entre les deux composantes de ce qui est, aujourd’hui, une même force. Divers commentateurs rapprochent par ailleurs plusieurs contentieux récents qui tendraient à démontrer un durcissement supplémentaire de la conception française du devoir de réserve. Le plus emblématique est certainement celui qui opposait le commandant de police Philippe Pichon, mis en examen pour violation de secret professionnel, à la haute hiérarchie du ministère de l’Intérieur.
Alexa MARTI
Master 2 Droit Public Approfondi
Université Panthéon-Assas (Paris 2)
Site de l’Association du Master de Droit Public Approfondi
Notes [1] CE, 11 janvier 2011, M. Matelly, n° 338461.
[2] CEDH, 15 septembre 2009, Matelly c. France, n° 30330/04. |