Affaire DSK: Eclairages sur la procédure pénale américaine

 


 

Arrêté samedi 14 mai par la police de New-York, Dominique Strauss-Kahn est accusé d’agression sexuelle sur une femme de chambre de l’hôtel Sofitel à Manhattan. Les premiers jours de détention et les premières comparutions devant la justice ont donné aux français l’occasion de découvrir différents aspects de la procédure pénale américaine.


Le Petit Juriste a intérrogé Hervé Causse, Professeur des universités, sur cette affaire très médiatisée.

 


 

L’affaire vous choque-t-elle ?

Oui. Nous sommes choqués car un compatriote éminent voit sa vie basculer – et celle de la victime (présumée), et celle de sa famille avec – dans une soudaineté sidérante. Nous le voyions président de la République et quelques new-yorkais (je ne suis pas péjoratif en disant cela) peuvent décider qu’il finira ses jours en prison là-bas pour un crime (si c’était le cas) qui blesse de nombreux Français. Le choc dépasse le clivage politique : on sait que le Président SARKOZY a œuvré pour que DSK prenne la direction générale du FMI. DSK est un économiste réputé, un professeur d’Université, un ancien maire et député, un ancien ministre, le dirigeant d’une institution financière mondiale, un chouchou des sondages en France et, en 3 heures, il se retrouve dans la pire situation dans laquelle puisse être un homme.

Si (j’insiste, « si ») les faits sont finalement qualifiés de crime il pourrait ne jamais rentrer en France. Le choc est amplifié par l’absolue incertitude de ces jours : le jury pourrait décider de ne pas l’accuser !

Depuis des mois les médias nous abreuvent véritablement avec les primaires du Parti socialiste et DSK et tout s’achève en 10 minutes dans une audience préliminaire d’un tribunal de New York avec les mots « crimes» « pénis » et « sperme ».

On croit halluciner.

 

Comment protéger à la fois le présumé innocent et la victime présumée ?

Dans cette affaire, il n’y a pas de solution qu’une loi précise puisse édifier ; nous avons un réflexe de législateur où il y a une question de comportements et aussi de gestion des situations. Les américains savent que quelqu’un peut être menotté puis ensuite innocenté. La culture donne une solution différente de la nôtre, mais notre façon de faire est récente ! On faisait comme eux il y a à peine dix ans. Au lieu de lois, il faut élever le débat et cultiver la dignité et laisser les autorités gérer les situations. L’image de DSK menotté dans le dos m’a meurtri mais ne m’a pas choqué sur le plan légal : je me demande même si à titre personnel il ne me fallait pas ces images, cette réalité, pour mesurer le drame de la situation ! Mais votre question montre l’air du temps : on voudrait tout et son contraire. Eh bien ce n’est pas toujours possible d’avoir une chose et son contraire. On ne le peut qu’en répétant qu’il y a une période où on ne sait pas et où parler n’est pas sérieux ; mais les médias ne veulent pas attendre, ni le public, tout le monde veut savoir et deviner l’issue. Alors on parle et on spécule quitte à blesser l’inculpé ou la victime.

 

Comme la loi interdit la publication d’images du prévenu menotté, que faire des médias français qui les ont publiées?

Les images qu’on nous propose en France sont un pur fait à l’étranger ! Elles ne sont pas uniquement un travail de personnes en France, pour des entreprises françaises sur un sujet français, soit une image française. C’est un fait : DSK a été vu dans le monde entier. Comment nous, Français, pourrions-nous ignorer cela ? Comment pourrions-nous interdire ces images de l’étranger que le monde entier voit : c’est absurde. La CSA a paraît-il fait une timide sortie en invitant à la modération, c’est histoire de faire quelque chose pour ne pas être aux abonnés absents !

 

La publicité de la procédure, transparence ou atteinte à la présomption d’innocence ?

Les Français sont arrogants, prétentieux et irréalistes (et je prends ces critiques également à mon compte). Nous pensons que notre conception de la présomption d’innocence est la meilleure et déjà certains sont prêts à aller expliquer aux américains ce qu’il en est. C’est profondément ridicule. Cela l’est d’autant plus que nous restons dans un Etat autoritaire souvent condamné par la CEDH. Nous laissons en garde à vue des milliers de personnes qui n’ont rien à y faire, en détention provisoire des centaines d’innocents le temps que les juges et policiers fassent leurs enquêtes et nous voudrions donner des leçons ? Mais à qui ?  Je ne vois pas que la transparence puisse être une atteinte à la procédure. Sans doute un maximum de publicité change les choses, mais les avocats de DSK peuvent parler en ce moment au monde entier ! Et ils le pourront durant des mois.

 

dsk2ph

 

La rapidité de la procédure américaine face à la procédure Française ?

Le fait que la procédure ne soit pas inquisitoire semble permettre d’accélérer les choses au moins au début : on évite le juge d’instruction qui peut se perdre dans ses doutes. Si le ministère public est convaincu par le plaignant, il enquête et attaque le délinquant présumé. Si la personne poursuivie sent que les choses tournent mal, il peut tout de suite en convenir et négocier avec le ministère public. Mais il n’y a pas que l’aspect judiciaire au sens de magistrature et juge. En l’espèce, les faits tels qu’ils nous sont livrés révèlent aussi une rapidité due à une police très efficace, notamment aidée par l’unité spéciale compétente en matière de mœurs. La procédure est accélérée quand trois ou quatre expertises peuvent être faites en quelques heures, y compris l’expertise psychologique et psychiatrique de la victime dont les symptômes de choc se relèvent alors bien. Le sentiment de rapidité a donc été donné par le déploiement de moyens de la police qui a également réussi une interpellation à quelques minutes prêt. Si on revient à l’aspect purement judiciaire, le fait de plaider non-coupable fera rentrer dans un débat probablement long où les avocats feront alors diligenter toutes sortes d’expertises et d’enquêtes.

 

Les manifestations du système accusatoire dans l’affaire DSK

Nous sommes à 24 heures de la réunion d’un « grand jury ». Pour l’heure, ce qui est marquant, c’est que les avocats ne disposent pas du dossier alors que le client fait l’objet d’une synthèse de cette enquête et donc d’un acte d’accusation. Ce dernier a abouti au placement en détention provisoire la juge (« la Cour ») refusant de prendre le moindre risque de fuite ou de suicide de DSK ! La détention provisoire c’est souvent un scandale, mais malheureusement un scandale souvent nécessaire ! L’enquête de police est quant à elle toujours l’œuvre des seuls policiers qui agissent unilatéralement, DSK a eu le droit de garder le silence et le droit de se faire assister par un ou des avocats.

 

Pour l’indépendance de la justice, faut-il des procureurs élus en France.

Pour l’indépendance de la Justice il faut de l’indépendance des Juges ! L’élection n’est ni un bon ni un mauvais système. Un système d’élections de gens compétents et honorables vaudra toujours mieux qu’un système de nomination de gens peu compétents ou choisis pour des raisons politiques… L’esprit de système ne doit pas faire oublier que le détail du système importe autant que ses principes ! Le parquet mérite sans doute d’être moins en tutelle en France, ce qui n’exclut pas d’un tel système le droit pour le ministre de la Justice d’agir dans des cas qu’il conviendrait de définir.

 

Cumul des peines aux US et non cumul en France, sommes-nous laxistes?

Eux sont sévères à l’extrême voire jusqu’au ridicule puisque deux cents ans de prison cela ne veut rien dire, sauf que cela évite d’utiliser le concept délicat à manier de perpétuité. Nos peines sont souvent ridicules ; pour mémoire, un trader ne doit pas hésiter à détourner quelques milliards car il sera traité comme s’il avait détourné quelques milliers d’euros… J’ai plaidé il y a un certain temps pour un crime de haute finance pour aider à prévenir les faillites de banques, c’était avant la crise… mais même après la crise le confort de la classe dirigeante semble primer sur la sécurité financière pourtant promise par tous. A nouveau, outre la question du système (cumul ou pas) il y a le détail du système : on pourrait adapter un cumul sous condition. Dans l’affaire DSK, le cumul est un peu curieux quand les faits sont dans une unité de temps et de gestes aussi ramassée. Mais d’autres diront que de faire l’objet d’attouchements est nettement distinct d’un acte de pénétration et mérite son identification et donc sa peine.

 

Y a-t-il une justice à deux vitesses en France ?

L’application intransigeante de la loi que l’affaire DSK montre qu’aux USA cela ne semble pas être le cas. Par contraste, nombreux sont les Français qui pensent que ce déroulement des faits n’aurait guère (le mot importe)  été possible en France. Nombreux sont donc ceux qui considèrent qu’il y a une justice à deux vitesses. En vérité les choses sont plus compliquées et pour parler clairement il faudrait déjà distinguer entre le pénal et le civil… Mais au plan pénal il est évident que certaines affaires, notamment d’argent public impliquant des hommes politiques, qui sont jugées pendant des semaines, soulignent l’inéquité de la situation quand une affaire purement privée mettant en cause le même nombre de prévenus et les mêmes sommes serait traitée en… un jour ?

 

La thèse du complot est-elle possible ?

Tout est possible. De l’extérieur et en l’état, on en doute, mais la défense aura à vérifier le moindre fait pour savoir si la relation sexuelle (a priori elle a existé) n’a pas été autre chose que le fruit d’une séquestration (puisque ce mot a été employé). C’est le travail de la défense. La victime actuelle, sans même l’imaginer être l’auteur direct ou principal d’un « complot », peut avoir été poussée à tel ou tel comportement, dans tel ou tel but, par tel ou tel… Enfin, il faut aussi souligner qu’un viol tient parfois à peu de choses : un simple « oui » ou « non » de la plaignante peut supprimer ou au contraire justifier cette qualification pénale de crime.  Donc, dans tous les cas, si l’accusation est confirmée et que l’on rentre dans un procès, le sort de DSK peut tenir à de « toutes petites choses » qui, cumulées, formeront l’intime conviction du jury. On appelle cela des indices, soit des faits matériels qui valent présomption. Cette affaire pourrait alors occuper la France pendant des mois…


Hervé Causse

Professeur des Universités
Consultant en Droit & Affaires
Website :
http://www.hervecausse.info

 

Propos recueillis par:

Antoine Bouzanquet

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