En proposant, dans un entretien donné à la presse le 21 août, l’installation de lignes fixes de téléphonie dans chaque cellule de détention, la ministre de la Justice se montre favorable à un meilleur accès au téléphone pour les personnes détenues et rompt avec la tendance restrictive actuelle.
Dans sa réflexion menée sur la réinsertion sociale des détenus, Nicole Belloubet affirme la nécessité de « donner aux détenus des moyens de communication »(1) avec l’extérieur et, par conséquent, d’améliorer l’accès au téléphone en détention. En effet, le droit de téléphoner en détention constitue un droit subjectif, découlant du droit au respect de la vie privée, qui permet le maintien des liens avec l’extérieur, que les correspondances écrites seules ne satisferaient pas.
Il est reconnu légalement par l’article 39 de la loi dite pénitentiaire du 24 novembre 2009 à l’égard des détenus pour téléphoner aux membres de leur famille ou d’autres personnes afin de préparer leur réinsertion ainsi qu’à l’égard des prévenus avec l’autorisation de l’autorité judiciaire. Si ce droit est règlementé par la loi depuis 2009, sa mise en œuvre reste aujourd’hui très restrictive et se manifeste tant par un accès limité aux « points phone » (les regroupements de téléphones fixes) que par l’interdiction de l’usage du téléphone portable.
La mise en œuvre limitée du droit au téléphone fixe
La nécessité de revoir l’accès aux téléphones en détention s’explique tout d’abord par la disparité de la mise en œuvre du droit de téléphoner. En effet, le droit octroyé aux détenus et prévenus de téléphoner est reconnu de manière large par le législateur. En conséquence, le pouvoir règlementaire a dû préciser l’article 39 de la loi de 2009, pour la mise en œuvre de ce droit, notamment avec le décret d’application du 23 novembre 2010 mais également à l’aide de circulaires et de notes administratives. Les règlements intérieurs et les règles coutumières spécifiques à chaque établissement entrent aussi en ligne de compte s’agissant de la répartition des points phone entre les détenus. Le droit de téléphoner est donc largement réglementé par des normes infra législatives amenant ainsi à une disparité des règles en fonction des établissements et des inégalités de mise en œuvre.
De plus, le caractère très limité de l’accès au téléphone se constate vis à vis du système d’autorisation préalable qui concerne la majorité des appels. Si les détenus peuvent téléphoner à leur famille sans autorisation préalable, l’article 34 du décret de 2010 soumet l’effectivité du droit de téléphoner aux autres personnes à l’autorisation du chef d’établissement. Toutefois, rien n’est précisé sur les critères que ce dernier doit prendre en compte pour autoriser cet accès au téléphone. De même, les personnes placées en détention provisoire ont un accès au téléphone entièrement soumis à l’autorisation du juge d’instruction, qui s’explique aisément par les enjeux de sécurité et de conservation des preuves propres à l’information judiciaire. Selon la circulaire du 13 juillet 2009, les prévenus ou les détenus doivent établir, avec l’autorité compétente, une liste des numéros que l’individuqu’il sera autorisé à appeler. Le nombre fixé par la circulaire est de 40 numéros pour les détenus et 20 pour les prévenus.
S’agissant de la mise en œuvre concrète du droit de téléphoner, les points phones sont, selon la circulaire du 13 juillet 2009, situés dans les coursives et cours de promenades afin de limiter le déplacement des prisonniers et d’optimiser leur surveillance. Par conséquent, les horaires d’accès au téléphone correspondent à celles des promenades et sont donc très limités dans le temps. En outre, la localisation des points phones dans des lieux passages ne permet pas de garantir l’intimité et la confidentialité des échanges. Enfin, les communications téléphoniques sont à la charge des détenus et seraient très onéreuses.(2)
La mise en place de lignes fixes au sein de chaque cellule, comme le préconise Nicole Belloubet, pallierait ainsi les problèmes de répartition des points phones entre détenus, d’horaires très limitées d’accès et de confidentialité des échanges. En l’état, cette restriction de l’accès au téléphone pour les personnes privées de liberté a conduit à l’explosion du nombre de téléphones portables détenus illégalement dans les établissements pénitentiaires.
D’un usage de fait vers une autorisation formelle du téléphone portable ?
Bien que le téléphone portable soit interdit pour les personnes privées de liberté, il est dans les faits devenu la norme en détention. En 2014, 27 574 téléphones portables auraient été saisis en 2014 et 31 094 en 2015.(3) L’autorité judiciaire montre une certaine volonté répressive comme l’illustre l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 24 octobre 2007 rejetant le pourvoi d’un détenu possédant un téléphone portable condamné à six mois d’emprisonnement ferme en plus de sa peine initiale. Toutefois, dans les faits, et au sein des établissements pénitentiaires, la détention d’un téléphone portable aboutit généralement à des sanctions disciplinaires assorties d’un sursis.
Face à cet usage considérable du téléphone portable par les détenus, Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, dans la même lignée que son prédécesseur Jean-Marie Delarue, constate que l’interdiction ne peut être pérennisée. Elle propose ainsi l’autorisation de cellulaires bridés et contrôlés. L’objectif de cette mesure est de rompre l’isolement des détenus et ainsi permettre leur réinsertion tout en préservant les enjeux sécuritaires en gardant le système de limitation aux seuls numéros autorisés. Un téléphone portable leur permettrait de rester en contact avec leurs proches et faciliterait même leur recherche de travail.(4)
Si la Chancellerie n’approuve pas l’accès pour les détenus au téléphone portable, la réflexion reste néanmoins en cours sur un accès plus général au téléphone à l’ère où les enjeux de prévention de la récidive passent par la réinsertion sociale du condamné.
Agathe Meijer avec la contribution d’Alix Dubuis
1. « Prisons : les questions sans réponse de la ministre », La Provence, 22 août 2017
2. Le magazine Le Point titrait le 24 mars 2014 « Prison : quand l’État rackette les détenus » et soutenait que les détenus devaient débourser environ 250 euros par mois s’ils voulaient communiquer par téléphone une vingtaine de minutes par jour
3. « Portables en prison : les surveillants désemparés », Europe 1, 23 février 2016
4. « Doit-on autoriser les téléphones portables dans les prisons ?, France info, 22 juillet 2014