Alors que le premier tour se profile en ce mois d’avril, le temps de parole est au cœur du débat présidentiel, et le Conseil supérieur de l’Audiovisuel (CSA) qui le contrôle en première ligne.
Si, depuis le 10 avril, le principe d’égalité du temps de parole a retrouvé sa place naturelle, c’est le principe d’équité qui prévaut désormais dans le cadre de l’élection présidentielle, renforçant tant la place des sondages que des partis politiques.
Le CSA a d’ailleurs dressé, le 12 avril 2017, un premier bilan de l’application de ce nouveau principe encore contesté. Retour sur la réforme méconnue de l’élection cardinale de la Vème République.
I- L’équité, nouveau principe cardinal de calcul du temps de parole
A) La substitution partielle du principe d’équité à celui d’égalité
Par la loi organique n° 2016-506 du 25 avril 2016 (art. 4), le législateur a substitué à la logique égalitaire l’application partielle du principe d’équité pour les médias audiovisuels. Le calcul du temps de parole est donc distinct :
- De la publication de la liste des candidats jusqu’à la veille de la campagne officielle (20 mars-9 avril): Le principe d’équité s’applique. En d’autres termes, le temps de parole est calculé en fonction de la représentativité des candidats (résultats obtenus aux dernières élections par eux-mêmes ou leur formation et sondages d’opinion), ainsi que de leur contribution à l’animation du débat électoral.
- Du début de la campagne officielle jusqu’au scrutin décisif (10 avril-7 mai) : Le principe d’égalité s’applique. Tous les candidats bénéficient alors strictement du même temps de parole.
Cette réforme a été justifiée en raison de la rigidité liée à l’application stricte du principe d’égalité. Le rapport du CSA, publié à la suite de l’élection présidentielle de 2012[1], avait mis en lumière le recul de la couverture audiovisuelle de 50% de 2007 à 2012 sur les cinq grandes chaînes généralistes.
Il est d’ailleurs indéniable que le CSA, autorité publique indépendante (API), a inspiré la rédaction de l’article 4 de la loi organique du 25 avril 2016, celle-ci étant la reprise presque totale de la proposition de rédaction figurant dans les recommandations d’un rapport publié en septembre 2015[2]. Il avait clairement signalé qu’il appartenait au législateur organique « d’introduire le principe d’équité pendant la période dite intermédiaire ».
Pour Sylvie Torcol, « un sentiment de malaise » subsiste face à une loi « largement pensée en amont du Parlement, mais surtout suggérée par des organismes dont l’implication, au regard de leur contrôle de l’élection présidentielle, pose un problème d’objectivité »[3]. Il est vrai que le CSA, en tant qu’autorité de régulation du secteur audiovisuel, s’est imposé comme prescripteur et contrôleur. Néanmoins, il ne peut être reproché de manière catégorique à des autorités spécialisées, par définition, d’émettre des recommandations propres à améliorer dans un sens, potentiellement subjectif, le fonctionnement du secteur qu’elles régulent ; libre au pouvoir politique de reprendre à son compte lesdites recommandations.
B) Les subtilités dans l’application du principe d’équité
Par ailleurs, le respect du principe d’équité se veut plus ou moins strict selon le moment de la campagne, puisque le CSA dans sa recommandation du 7 septembre 2016[4] a distingué deux périodes distinctes :
- Jusqu’à la veille du jour de la publication au Journal officiel de la liste des candidats établie par le Conseil constitutionnel (1er février-17 mars) : Pendant cette première période, les services de télévision et de radio doivent veiller à ce que les candidats déclarés ou présumés et leurs soutiens bénéficient « d’une présentation et d’un accès équitable à l’antenne ». Cette souplesse s’explique par le nombre de potentiels candidats non encore candidats officiels à l’élection présidentielle. Pour exemple, Rama Yade ou Henri Guaino n’ont pas obtenu les 500 parrainages nécessaires à leur présentation à l’élection présidentielle de 2017.
- Du jour de la publication au Journal officiel de la liste des candidats établie par le Conseil constitutionnel jusqu’à la veille de l’ouverture de la campagne électorale (18 mars-9 avril) : Pendant cette seconde période, l’application du principe d’équité est plus stricte dans la mesure où les candidats et leurs soutiens doivent alors bénéficier d’une présentation et d’un accès équitables à l’antenne mais, cette fois, « dans des conditions de programmation comparables ». Comme l’a rappelé le Conseil d’État, « sont regardées comme des conditions comparables l’accès à l’antenne au cours d’une même tranche horaire au sein d’une même catégorie d’émissions, classées en émissions d’informations et autres émissions »[5]. L’objectif est évidemment d’éviter que seuls les candidats favoris soient invités à des heures de grande audience telles que le journal de 20h, et ce alors même qu’ils ont obtenu les 500 parrainages obligatoires.
II- Une atteinte au pluralisme ?
A) Le principe d’équité, un principe contestable mais validé par le Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel, obligatoirement saisi pour toute loi organique (art. 61 al.1 de la Constitution), avait estimé la réforme conforme à la Constitution malgré la dérogation évidente au principe d’égalité qu’elle impliquait[6].
Tout d’abord, il a en effet considéré que si les candidats à la présidentielle étaient dans la même situation, le motif tiré de la « clarté du débat électoral » constituait un motif d’intérêt général suffisant pour y déroger dans « l’intérêt des citoyens ».
Ce motif d’intérêt général a alors été considéré comme étant « en rapport direct avec l’objet de la loi », condition nécessaire pour déroger à un principe de valeur constitutionnelle, le Conseil ayant relevé que le législateur souhaitait « prendre en compte l’importance relative des candidats dans le débat public » (considérant 14). Le juge constitutionnel a alors estimé que les articles 3 de la Constitution et 6 de la Déclaration de 1789, consacrant le principe d’égalité, n’étaient pas violés.
Si le fait que la « clarté du débat électoral » réponde à un intérêt général ne peut être objectivement contesté, c’est bien sur la suffisance du motif que pourrait porter les discussions. La question se pose d’autant plus qu’est en cause le principe d’égalité consacré à deux reprises dans le bloc de constitutionnalité. De plus, comme l’a relevé une partie de la doctrine, la notion même de « clarté du débat électoral dans l’intérêt des citoyens pose […] question »[7].
Néanmoins, le motif s’inscrit en partie dans la lignée de la jurisprudence constitutionnelle qui s’attache à accorder toujours plus d’importance à la « clarté » du débat public, du processus décisionnel ou encore des lois elles-mêmes. C’est ce que démontre la consécration d’un « principe de clarté de la loi » par le Conseil constitutionnel[8] fondé sur l’article 34 de la Constitution, principe distinct de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi[9].
Par ailleurs, s’agissant du respect de l’article 4 de la Constitution relatif à la garantie par la loi des expressions pluralistes, les Sages ont relevé que le législateur avait entendu « dans le même but, accorder aux éditeurs de communication audiovisuelle une liberté accrue dans le traitement de l’information en période électorale ». Compte tenu de la multiplication de l’offre d’information, non soumise à la réglementation du temps de parole (Internet principalement, presse écrite …), le Conseil a estimé que le législateur avait opéré une « conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles de pluralisme des courants d’idées et d’opinions et de liberté de communication » (considérant 13).
La solution n’est pas surprenante puisque cette conciliation semble déjà présente dans l’article 4 de la Constitution qui consacre « la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ».
Même si la réforme a reçu un brevet de constitutionnalité, l’impact du principe d’équité reste potentiellement dangereux pour le respect du pluralisme.
B) Les effets potentiellement pervers de l’application du principe d’équité
Si l’application du principe d’équité semble la consécration d’une forme de méritocratie, elle est également porteuse d’effets pervers mettant en danger le pluralisme pourtant reconnu à l’article 4 de la Constitution depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008[10].
En effet, la réforme de 2016 accentue indubitablement le poids déjà important des partis politiques. Prendre en compte les résultats des dernières élections, ou les sondages, avantage mécaniquement les candidats qui bénéficient d’une forte exposition médiatique, et crée donc un cercle vicieux.
Or, le retard accumulé par les candidats non favoris ne sera pas rattrapable dans les deux dernières semaines avant le premier tour, surtout compte tenu de la cristallisation partielle des votes dans le mois précédant l’élection. La réforme ne peut donc qu’accentuer l’absence de renouvellement en politique, sauf exception notable, comme c’est le cas de E. Macron, dont le mouvement n’a été créé qu’en 2016.
Cette critique a atteint son apogée au cours de la présente campagne présidentielle dans le cadre de l’organisation du premier débat avant le premier tour, le 20 mars 2017, avec les cinq candidats favoris. La chaîne TFI avait en effet décidé d’organiser un débat resserré excluant alors les six autres candidats à la présidentielle. Nicolas Dupont-Aignan, candidat exclu, avait alors formé un référé-liberté sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative afin qu’il soit enjoint à ladite chaine de le laisser participer au débat télévisé. Ce recours faisait alors suite à l’absence de réponse du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).
La Haute Juridiction administrative, dans son ordonnance du 16 mars 2017[11], a finalement estimé qu’eu égard à la représentativité du candidat, à sa contribution au débat électoral, le temps de parole et d’antenne dont il avait bénéficié depuis février 2017 ne traduisait pas un déséquilibre incompatible avec le principe d’équité, même renforcé (voir supra)[12]. Par ailleurs, le fait que ledit candidat ne soit pas invité au « Grand débat » de TFI n’a pas constitué, à lui seul, une méconnaissance de ce principe (considérant 8).
Néanmoins, l’impact de la réforme doit être relativisé tant compte tenu de l’application précédente du principe d’égalité, qui dénotait une certaine hypocrisie, que de la multiplication des moyens de diffusion pour les candidats.
C) Une réforme dont l’impact doit être relativisé
L’un des éléments de relativisation réside dans la distinction en pratique entre égalité et équité dans l’application qu’en faisait le CSA. En effet, si pour veiller au respect du principe d’équité, le CSA prend en compte les résultats aux précédentes élections, leur contribution au débat électoral, ces deux éléments ne constituent pas une nouveauté puisqu’ils étaient déjà pris en compte dans l’application du principe d’égalité avant la réforme du 25 avril 2016. La véritable nouveauté réside donc seulement dans la référence aux sondages d’opinion.
Comme l’a souligné Romain Rambaud, spécialiste de droit électoral, la prise en compte de la représentativité conduisait au détournement du principe d’égalité « en pratique puisque les télévisions et radios pouvaient diffuser les petits candidats à des heures creuses ou la nuit et réserver les meilleures heures aux candidats plus représentatifs »[13].
De plus, si le principe d’égalité s’appliquait à partir de la publication de la liste des candidats, il n’en demeurait pas moins que, jusqu’au début de la campagne officielle (deux semaines avant le premier tour), il y avait une égalité des temps de parole mais une équité des temps d’antenne[14]. Cette distinction qui s’est appliquée à partir de 2007 a été validée par le Conseil d’État[15], et reprise pour les élections présidentielles de 2012[16]. L’application de l’équité renforcée pendant cette période avec le respect de « conditions de programmation comparables » ne paraît donc pas nécessairement desservir les plus petits candidats, ces derniers y gagnant sur la qualité des interventions au détriment du temps de parole.
L’impact reste, par ailleurs, à relativiser compte tenu de la multiplication des moyens de communication, et notamment de la diffusion sur Internet. Si le secteur audiovisuel est soumis au respect des règles strictes fixées par la loi, visant en théorie à assurer le pluralisme politique, ce n’est pas le cas de la presse et des sites internet.
La raison est simple, seul le secteur audiovisuel au sens strict occupe gratuitement le domaine public hertzien. C’est en « contrepartie de cette gratuité que chaque média audiovisuel doit appliquer le principe de pluralisme »[17]. C’est d’ailleurs sur la multiplication des moyens de diffusion que le Conseil constitutionnel s’est en partie fondé pour estimer que l’application du principe d’équité ne portait pas une atteinte manifeste au pluralisme dans sa décision du 21 avril 2016[18].
Enfin, le CSA, réuni en assemblée, a dressé le 12 avril 2017 un premier bilan général positif[19]. Les chiffres ont en effet mis en évidence une progression de « l’expression politique » durant la période précédant le début de la campagne officielle entre 2012 et 2017, une progression non négligeable de 61,5% du temps global de parole des candidats.
En d’autres termes, ces premières données donnent à penser que l’application du principe d’équité, moins exigeant dans son application que le principe d’égalité, a conduit les chaines de télévision et les radios à laisser plus de place à l’expression des candidats. Mais il ne s’agit là que d’un bilan global et non d’une comparaison détaillée entre les différents types de candidat.
Reste à voir quels seront les effets concrets sur la visibilité des candidats, même s’il semble que ces règles visent à davantage récompenser « les apparences du mérite que le mérite lui-même » (F. de la Rochefoucauld).
Laure MENA
A retrouver dans le numéro du Petit Juriste : Le Petit Juriste, n°39, Avril 2017 (à télécharger)
[1] CSA, « Rapport sur l’élection présidentielle de 2012 – Bilan et propositions », 2012.
[2] CSA, Propositions du Conseil supérieur de l’audiovisuel relatives à l’application du principe de pluralisme politique dans les médias audiovisuels en période électorale, septembre 2015, p. 11.
[3] Sylvie Torcol, « La loi organique de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle conforme à la Constitution : questions autour du contrôle de la « conformité de la loi organique aux observations du Conseil constitutionnel », Dalloz, Constitutions 2016. 236.
[4]http://www.csa.fr/Espace-juridique/Deliberations-et-recommandations-du-CSA/Recommandations-du-CSA-en-vue-de-consultations-electorales-ou-referendaires/Recommandation-n-2016-2-du-7-septembre-2016-du-Conseil-superieur-de-l-audiovisuel-aux-services-de-radio-et-de-television-en-vue-de-l-election-du-President-de-la-Republique.
[5] CE, Ord., n° 408730, 16 mars 2017, M. Dupont-Aignan.
[6] CC, n° 2016-729 DC, 21 avril 2016.
[7] Romain Rambaud, « Le paquet de modernisation électorale », Dalloz, AJDA 2016. 1285.
[8] CC, n° 2001-455 DC, 12 janvier 2002 (considérant 9) ; CC, n° 2001-451 DC, 27 novembre 2001 (considérant. 13) ; CC, n° 98-401 DC, 10 juin 1998 (considérant 10).
[9] CC, n° 99-421 DC, 16 décembre 1999.
[10] Article 4 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ».
[11] CE, Ord., n° 408730, 16 mars 2017, M. Dupont-Aignan.
[12] Le Conseil d’État, compte tenu de l’incertitude tenant la date de publication de la liste des candidats, a examiné le respect du principe d’équité dans ses deux acceptions en formulant explicitement les deux hypothèses.
[13] Romain Rambaud, « Le paquet de modernisation électorale », Dalloz, AJDA 2016. 1285.
[14] Op.cit. Rambaud : « Le temps de parole comprend toutes les interventions d’un candidat ou de ses soutiens, tandis que le temps d’antenne est une notion plus large qui comprend l’ensemble des éléments éditoriaux consacrés à un candidat et à ses soutiens ».
[15] CE, n° 300428, 11 janvier 2007, Mme Lepage.
[16] CSA, recommandation, 30 novembre 2011.
[17] F. Mariani-Ducray, « On préfère appeler les médias audiovisuels à la vigilance plutôt que renforcer les règles », Le Monde, 7/11/2015.
[18] CC, n° 2016-729 DC, 21 avril 2016.
[19] CSA, Communiqué de presse, 12 avril 2017 : http://www.csa.fr/Espace-Presse/Communiques-de-presse/Presidentielle-2012-2017-l-expression-politique-s-est-accrue-de-plus-de-60.