La récente condamnation pénale d’un psychiatre hospitalier[1] pour le meurtre commis par un patient schizophrène hospitalisé dans son service relance le vif débat autour du lien entre enfermement et psychiatrie.
Souvent objet de peur, de fantasme ou de fascination, la psychiatrie reste encore aujourd’hui une discipline difficile à cerner pour le droit. Ainsi, le documentaire de Raymond Depardon « 12 jours », tourné à l’Hôpital psychiatrique du Vinatier à Lyon sera ici utilisé comme porte d’entrée sur la notion d’enfermement. Dans ce film, Depardon nous plonge au cœur des audiences du 12e jour rendues obligatoires dans le cas d’une hospitalisation sans consentement par la loi du 5 juillet 2011 (n°2011-803). Il cherche à interroger la parole, à la fois celle des patients mais aussi celle des juges qui leur font face au cours d’une audience si particulière.
I. « Merci pour votre abus de pouvoir »[2]
La psychiatrie fait office d’exception dans la pratique médicale en ce qu’elle a pour objet le soin de patients n’étant pas toujours en état de consentir aux soins nécessaires du fait de leur pathologie. Depuis 1838, la loi encadre l’hospitalisation sans consentement, d’abord au nom de l’ordre public, puis au nom du droit à la santé et pour des nécessités de soins. La France a longtemps fait figure d’exception dans le paysage européen. Ce n’est qu’après une condamnation de la France par la Cour Européenne des droits de l’Homme[3] et une question prioritaire de constitutionnalité que le législateur a actualisé les dispositions législatives.
Aujourd’hui, pour mettre en place cette procédure, le médecin doit caractériser l’impossibilité du patient d’exprimer son consentement (1) et un état de santé mentale imposant des soins immédiats et une surveillance médicale constante (2). Entre 1990 et 2013, trois lois majeures sont venues préciser ces conditions d’hospitalisation : elle distingue trois modes d’admission différents (les soins psychiatriques à la demande d’un tiers ; les soins psychiatriques en cas de péril imminent ; les soins psychiatriques sans consentement à la demande du représentant de l’État) qui ne seront pas détaillés dans cet article. La loi exige par ailleurs à des échéances précises au cours de l’hospitalisation que soient établis des certificats médicaux, émis par des médecins différents. Cependant, selon l’article 66 de la Constitution, il appartient à l’autorité judiciaire de veiller à ce que nul ne soit arbitrairement détenu. Ainsi, dans le cadre d’une hospitalisation, cela se traduit de manière automatique par la présentation du patient au juge des libertés et de la détention (JLD) au bout de douze jours. Celui-ci doit contrôler la régularité de la procédure d’admission et la motivation des certificats.
La personne prise en charge ne peut être considérée uniquement à travers le prisme médical comme un patient incapable de consentir mais doit l’être à travers le prisme juridique, en tant que justiciable et citoyen. Cette superposition de qualités complexifie l’approche de ce contentieux. Lors de cette audience, le juge n’a pas pour rôle de statuer sur les modalités de la mesure de prise en charge mais bien de contrôler la décision prise par le corps médical, en particulier du point de vue de la proportionnalité de la mesure. Dans le cas où il constaterait des irrégularités ou un défaut de proportionnalité, il peut prononcer une mainlevée de l’hospitalisation. Alors que certaines pathologies sont perceptibles par un non-médecin, d’autres sont plus complexes à appréhender. Le risque serait alors de s’improviser psychiatre. C’est là toute la difficulté à laquelle doit faire face le juge. Comme le constate le président du Tribunal de Grande Instance de Bobigny[4], le fait de confier ce contentieux au juge judiciaire a pour conséquence un alignement des pratiques sur celles du contentieux pénal. Ainsi, les droits de la personne, en particulier la liberté d’aller et venir prennent le pas sur le droit de protection de la santé. La première question est celle du consentement aux soins et donc de la nécessité de la contrainte. Se pose alors un important problème de hiérarchie des normes. Dans un ensemble toujours plus complexe de textes, les acteurs du processus judiciaire se doivent de les hiérarchiser afin d’apporter une solution casuistique.
De nombreux médecins pointent alors le paradoxe législatif qui cherche d’un côté à garantir la liberté et l’autonomie du patient, et de l’autre à répondre à des impératifs de sécurité et de maintien de l’ordre public qui se font toujours plus pressants. Par exemple, le non respect des délais de présentation devant le juge est considéré comme un vice de procédure. De fait, ce défaut entraîne automatiquement la fin de l’hospitalisation sous contrainte, quelque soit l’état de psychiatrique du patient. Depuis la mise en application de la loi de 2011, une enquête du Ministère de la Justice constate le peu de mainlevée prononcée (moins de 3% en 2015)[5].
Complexe équilibre entre droits fondamentaux, l’hospitalisation sans consentement interroge également la pratique judiciaire, et en particulier la place de l’audience.
II. «Les gens ont les yeux sévères sur moi »
Au cours de cette audience du 12e jour, deux mondes, qui pendant longtemps ont évolué de manière parallèle, se rencontrent. Chacun doit alors faire un pas vers l’autre pour s’ajuster et trouver un terrain de compréhension mutuelle. Face à la maladie psychiatrique, les réponses du monde judiciaire sont souvent partielles, parfois décalées, voire même inadaptées.
Comme le montre le réalisateur Depardon, le patient ne comprend souvent pas pourquoi il est présenté devant un juge, figure répressive, incarnant pour lui plus un univers carcéral qu’un protecteur des libertés. L’équipe soignante et l’avocat ont alors un rôle à jouer dans la préparation de cette rencontre. Il peut arriver que le débat judiciaire, avec son lot de plaidoiries, de contradictoire, de formules imagées, soit la source d’une aggravation de l’état du patient. La confiance entre le médecin et son patient, pierre angulaire des soins, peut également être amoindrie. Aussi bien dans le cas d’une mainlevée que d’une poursuite de l’hospitalisation, le juge doit adapter sa motivation afin qu’elle vienne à l’appui du travail médical. Le vocabulaire juridique, souvent tranchant de précision, n’est pas toujours adapté et constructif dans le cadre psychiatrique. Comment faire dialoguer de manière construite un patient délirant avec un JLD ? Comment deux mondes aussi éloignés que ceux de la folie et de la Justice peuvent-ils se rencontrer ?
Sur le plan de la déontologie, l’avocat doit ad vocare, c’est-à-dire porter la voix de son client. Mais face à une personne n’ayant pas conscience de sa maladie, quels choix doit-il opérer ? Alors même qu’il constate les troubles manifestes, doit-il chercher à tout prix à obtenir la sortie alors même que celle-ci mettrait en danger la vie du patient ? C’est bien l’intérêt de son client qui doit primer sur tout autre considération. Le croisement des codes de déontologie, que ce soit celui du médecin ou de l’avocat, doit permettre de faire émerger un consensus entre ces acteurs.
Sur le plan de la tenue de l’audience, celle du 12e jour concentre de nombreuses interrogations. En effet, l’article L.3211-12-2 du code de la santé publique prévoit que le JLD statue lors d’une audience publique après contradictoire. Or, comme exposé précédemment, le juge se fonde majoritairement sur les certificats médicaux versés au dossier. L’article L.1110-4 du même code précise également que toute personne prise en charge dans le cadre de soins a droit au respect de sa vie privée et à la confidentialité des informations médicales la concernant. Le secret médical se doit d’être absolu, et personne, pas même le patient ne peut en délier le médecin en dehors des cas prévus par la loi (art. R.4127-4 CSP). Des dérogations à la publicité des débats sont possibles, en particulier lorsqu’ils pourraient porter atteinte à la vie privée. Alors même que la loi de 2011 prévoit spécifiquement la procédure applicable en cas d’hospitalisation sans consentement, le législateur n’a pas voulu déroger au principe de publicité, au risque parfois d’empiéter sur les droits fondamentaux.
Matthieu Benoit-Cattin
[1] CA Grenoble, 15 mai 2018[2] Les titres sont des citations des patients entendues dans le film
[3] CEDH, 18 novembre 2010, Baudoin c. France, n°35935/03
[4] Renaud Le Breton de Vannoise, « Loi sur les hospitalisations sans consentement », AJ Famille 2016
[5] http://www.justice.gouv.fr/art_pix/Stat_Annuaire_ministere-justice_2015_chapitre2.pdf
Pour aller plus loin
– Dossier spécial « Hospitalisation sans consentement » , AJ Famille, n° 1-2016, 2016
– V. Dujardin, E. Péchillon, « La judiciarisation des soins psychiatriques : le point de vue du juriste », L’information psychiatrique, 2015/6 (Vol. 91)
– Documentaire : 12 jours de Depardon, 2017