Alors que l’identité des fautes contractuelle et délictuelle semblait acquise en jurisprudence, la troisième chambre civile de la Cour de cassation semble récemment revenue sur sa position (i).
À la suite de travaux de chauffage, de climatisation et de traitement de l’eau réalisés au sein d’une copropriété à l’initiative du syndicat et de l’un des locataires, le propriétaire et le locataire de l’immeuble voisin se sont plaints d’une importante condensation.
Après avoir assigné les entrepreneurs en réparation du préjudice subi, la cour d’appel a fait droit à cette demande, en soutenant que le manquement à l’obligation contractuelle de livrer un ouvrage conforme aux prévisions contractuelles et exempt de vices constitue une faute engageant la responsabilité délictuelle de son auteur.
Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation censure ce raisonnement et affirme, de manière inattendue, que le seul manquement à une obligation contractuelle de résultat de livrer un ouvrage conforme et exempt de vices ne caractérise pas une faute délictuelle. Autrement dit, le tiers doit démontrer une faute autonome, distincte du simple manquement contractuel afin d’obtenir l’indemnisation de son préjudice.
I – Une solution prévisible ?
En vertu de l’effet relatif du contrat prévu à l’article 1199 du Code civil (ancien article 1165), l’exécution d’un contrat est sans incidence sur la situation des personnes qui y sont totalement extérieures. Cependant, dans la mesure où la convention est créatrice d’un fait juridique à l’encontre des tiers, il se peut qu’un manquement contractuel leur cause un préjudice. Pour cette raison, les tiers peuvent invoquer cette exécution défectueuse sur le fondement de la responsabilité délictuelle (ii).
Tandis que le fondement de l’action n’a jamais posé de difficultés particulières, un débat virulent a toujours agité la doctrine et la jurisprudence quant aux preuves que devait apporter le tiers, victime.
Devait-il simplement apporter la preuve de l’inexécution contractuelle ou bien démontrer une faute autonome ?
Pendant longtemps, la Cour de cassation avait tendance à opter pour la seconde solution, partant de l’idée que la faute ne peut être appréciée par rapport au contrat en raison de la qualité de tiers de la victime. Elle en déduisait que la faute devait être appréciée « en elle-même et en dehors de tout point de vue contractuel » (iii), qu’il fallait rechercher si la faute était « détachable du contrat » (iv) ou encore si elle constituait, outre un manquement au contrat, « la violation d’une obligation générale de prudence et de diligence » (v) ou une atteinte au « devoir général de ne pas nuire à autrui » (vi).
Pour autant, il arrivait que la Haute juridiction considère que le tiers était bien-fondé à invoquer tout manquement du débiteur contractuel lorsque ce manquement lui causait un dommage, sans exiger qu’il apporte une autre preuve (vii).
Ces divergences ont nécessité la réunion des chambres de la Cour de cassation en assemblée plénière. C’est ainsi que la formation solennelle de la Cour a officiellement abandonné l’exigence d’une faute autonome, en affirmant que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » (viii).
En dépit de sa volonté d’harmonisation, cette décision a été extrêmement critiquée. Il lui était reproché de violer les principes fondamentaux relatifs aux effets du contrat, lesquels impliquent qu’un tiers ne puisse invoquer une faute contractuelle. De surcroît, la Cour de cassation a elle-même fragilisé sa position. En effet, postérieurement, la Haute juridiction a censuré des décisions des juges du fond au motif qu’ils n’avaient pas caractérisé en quoi le manquement contractuel constituait une faute délictuelle (ix).
Eu égard aux incertitudes entourant la responsabilité délictuelle fondée sur l’inexécution contractuelle, cette solution était prévisible mais n’en demeure pas moins contestable.
II – Une solution opportune ?
Arguant le fait que l’obligation de délivrance conforme n’a pas vocation à influer sur la situation des tiers, certains auteurs approuvent cette solution et en déduisent que les tiers ne peuvent fonder leur action en réparation sur la seule violation de cette obligation (x).
En réalité, la défectuosité d’un immeuble peut avoir une incidence directe sur les tiers. Par exemple, après l’intervention d’un entrepreneur, apparaissent des fissures qui, fragilisant le bâtiment, vont affecter l’immeuble attenant en cas d’effondrement. Bien que tiers au contrat, on ne saurait vraisemblablement nier l’intérêt que le propriétaire ou locataire voisin détient dans la bonne exécution du contrat d’entreprise.
Cette solution n’est pas juridiquement tenable mais s’avère, en outre, extrêmement sévère quant aux conséquences pratiques qu’elle engendre. L’exigence de la preuve d’une faute spécifique limite l’indemnisation des préjudices causés aux tiers. Lorsque la cause du dommage réside exclusivement dans l’inexécution contractuelle – ce qui est bien souvent le cas –, les victimes se retrouvent injustement privées de toute réparation.
Certes, la position antérieure de la Cour de cassation était juridiquement critiquable mais avait le mérite d’être juste.
III – Une solution cantonnée au droit de la construction ?
Bien que la Cour de cassation semble revenir sur sa décision de 2006, la Haute juridiction fait preuve de mesure (xi). L’absence d’emploi de termes généraux est l’indice d’une portée a priori limitée au seul domaine du droit de la construction.
En tout cas, ce refus de l’identité des fautes contractuelle et délictuelle ne reflète pas la position de la Cour de cassation en son ensemble. Il convient de constater que la première chambre civile, cette fois, a rendu une décision le 24 mai 2017, soit seulement 6 jours après cette présente décision, dans laquelle elle affirme de manière non équivoque que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage » (xii).
Néanmoins, sans que cela ne constitue un hasard, le projet de réforme du droit de la responsabilité civile, présenté le 13 mars dernier, condamne le principe d’unité des fautes contractuelle et délictuelle. En l’état actuel du projet, il est exigé la preuve d’une faute délictuelle, résidant dans la violation d’une prescription légale ou d’un manquement au devoir général de prudence ou de diligence.
Sous l’influence de la réforme à venir, la présente décision initie vraisemblablement un futur revirement d’une portée beaucoup plus large que ce que la troisième chambre laisse ici entendre.
Aurélie BRÉCHET
(i) Civ. 3, 18 mai 2017, n°16-11.203, publié au bulletin.
(ii) Civ. 1, 15 décembre 1998, Bull. Civ. I, n°368.
(iii) Civ. 3, 18 avril 1972, Bull. Civ. III, n°233.
(iv) Civ. 1, 11 avril 1995, Bull. Civ. I, n°171.
(v) Com., 2 avril 1996, Bull. Civ. IV, n°101.
(vi) Com., 8 octobre 2002, JCP 2003.I.152 ; 5 avril 2005, Bull. Civ. IV, n°81.
(vii) Civ. 1, 15 décembre 1998, Bull. Civ. I, n°368.
(viii) Ass. Plén., 6 octobre 2006, Grands arrêts, n°177.
(ix) Civ. 1, 15 décembre 2011, n° 10-17.691, D. 2012. 659, note D. Mazeaud.
(x) Thomas COUSTET, L’obligation de délivrance conforme n’est pas une faute au bénéfice du tiers, 8 juin 2017, Dalloz actualité.
(xi) Dimitri HOUTCIEFF, Toute faute contractuelle n’est pas nécessairement délictuelle à l’égard des tiers, D. 2017. 1225.
(xii) Civ. 1, 24 mai 2017, n°16-14.371, non publié au bulletin.
(xiii) Articles 1234 et 1242 du Projet de réforme de droit de la responsabilité civile, www.justice.gouv.fr.
Pour aller plus loin :
Geneviève VINEY, La responsabilité du débiteur à l’égard du tiers auquel il a causé un dommage en manquant à son obligation contractuelle, D. 2006. 2825.
Denis MAZEAUD, Relativité de la faute contractuelle, le retour ?, D. 2017, 1036.