Les délégués du personnel (DP) ont un rôle et des missions spécifiques au sein des entreprises. Il apparait nécessaire de revenir sur les conditions de leur mise en place avant de rappeler l’essence même de leur existence : la représentation des intérêts des salariés. Pour mener à bien leurs différentes missions, il est indispensable que ces instances représentatives du personnel aient accès aux locaux de l’entreprise que ce soit durant leur temps de travail, mais également en dehors de celui-ci du moment que l’entreprise est ouverte. Sur ce point, l’arrêt du 12 avril 2016 rendu par la Cour de cassation apporte des précisions.
Les délégués du personnel : un rôle et des missions modulables au sein de l’entreprise
Les délégués du personnel constituent l’une des instances représentatives du personnel (IRP)[1] et doivent être mis en place dans les structures comptant au moins onze salariés. Cette règle s’applique à toutes les entreprises du secteur privé ainsi qu’à certains établissements publics (SPIC[2] et établissements visés par décret). Pour ce qui est de l’appréciation de l’effectif, il faut noter que tous les types de contrat de travail sont comptabilisés[3]. La période de référence pour calculer cet effectif s’étend sur une période de douze mois consécutifs ou non au cours des trois dernières années. Enfin, le nombre de délégué de personnel est fixé par tranche en fonction du nombre de salariés dans l’entreprise[4]. Le rôle des délégués du personnel est de représenter les intérêts des salariés auprès du/des dirigeant(s) de l’entreprise. Pour cela, la loi leur a attribué des missions de base auxquelles peuvent venir s’ajouter des missions supplétives.
Dans tous les cas, le délégué du personnel a pour mission de présenter à la direction les réclamations individuelles ou collectives du personnel[5] portant notamment sur les salaires, l’application du code du travail ou les accords et conventions applicables à l’entreprise[6]. A cela s’ajoute un devoir d’alerte. S’il constate des atteintes aux droits des personnes et aux libertés individuelles dans l’entreprise, il doit en informer l’employeur. Si ce dernier n’agit pas, le délégué du personnel peut alors saisir le Conseil de Prud’hommes et/ou l’inspecteur du travail afin que ces agissements cessent. Enfin, il assure une veille juridique relative à la législation et jurisprudence sociales.
Des missions supplétives peuvent s’ajouter aux missions précédemment énoncées. Ce sera notamment le cas lorsque l’entreprise compte moins de 50 salariés et ne peut donc se doter d’un Comité d’Entreprise et d’un Comité d’Hygiène, de la Sécurité et des Conditions de Travail. Dans ces hypothèses, le délégué du personnel sera alors également en charge de leurs attributions respectives.
Pour mener à bien ses missions, le délégué du personnel doit disposer d’un local mis à disposition par l’employeur au sein de l’entreprise (article L 2315-6 du code du travail) et de plages horaires réservées à l’exercice de sa fonction représentative appelées « heures de délégation » (article L 2315-1 du même code).
Enfin, avant d’envisager la libre circulation des délégués du personnel au sein de l’entreprise, il convient de rappeler, qu’ils bénéficient du statut des salariés protégés. Ce statut, reconnu à toutes les instances représentatives du personnel, vise à les protéger au regard de leurs missions au sein de l’entreprise. Il semble évident que l’employeur ne puisse pas utiliser les positions et actions prises dans le cadre du mandat de représentation pour sanctionner ledit salarié. Il existe donc une procédure spéciale en cas de licenciement de ces salariés : l’avis du comité d’entreprise et celui de l’inspecteur du travail sont requis avant de procéder au licenciement. Toutefois, cette mesure n’a pas pour conséquence d’accorder une immunité totale aux représentants. En cas de faute non liée à leur mandat ou en cas de difficultés économiques, le licenciement sera possible sous réserve de la sollicitation de l’avis des deux instances susmentionnées.
Le principe de liberté de circulation des délégués du personnel au sein de l’entreprise aux fins d’exercer leur fonction de représentation
Afin qu’il puisse mener à bien ses fonctions, l’article L 2315-5 du code du travail pose le principe de la liberté de circulation du délégué du personnel au sein de l’entreprise. Celui-ci dispose en premier lieu que le délégué du personnel peut, durant ses heures de délégation, se déplacer hors de l’entreprise pour les besoins de son mandat. Il poursuit en indiquant que ce représentant peut librement circuler au sein de l’entreprise aussi bien durant ses heures de délégation qu’en dehors de ses heures habituelles de travail. Le but étant de permettre au délégué du personnel de s’entretenir avec les différents salariés qui le souhaitent et de prendre tout contact ou information nécessaire auprès des salariés.
Un récent arrêt rendu le 12 avril 2016[7] envisage cette liberté de circulation du délégué du personnel au sein de l’entreprise. Il est intéressant de le mentionner dans la mesure où le litige se cristallisait sur le fait que les salariés de l’entreprise étaient présents 24h/24 dans ses locaux. Avant de revenir sur l’essence même de cette décision, il faut préciser que celle-ci a été rendue par la Chambre criminelle de la Cour de cassation et non par la Chambre sociale, puisqu’il était question d’un délit d’entrave à l’exercice des fonctions de représentation du personnel.
En l’espèce, un salarié, qui était délégué syndical et délégué du personnel, s’était vu brutalement retirer son badge jour/nuit lui donnant accès aux locaux de l’entreprise. Or, l’entreprise est ouverte en permanence et dispose donc d’équipes de jour et de nuit. Bien que ledit salarié n’ait pas la qualité de travailleur de nuit, celui-ci, en raison de ses missions de représentation, estime pouvoir avoir accès aux locaux de l’entreprise de manière continue afin de pouvoir rencontrer l’ensemble des salariés. Le représentant a alors porté plainte contre l’employeur pour délit d’entrave à l’exercice régulier des fonctions de délégué du personnel.
La ligne de défense de l’employeur consistait à se baser sur les exceptions au principe de libre circulation du délégué du personnel au sein de l’entreprise. Il en existe en effet plusieurs. L’article L 2315-5 du code du travail vise, tout d’abord, l’hypothèse d’une « gêne importante à l’accomplissement du travail des salariés ». La jurisprudence est venue compléter ce texte en y incluant la notion de sécurité. C’est d’ailleurs cet aspect-là qui est utilisé en l’espèce par l’employeur. Celui-ci met en avant le caractère et la personnalité particulière du salarié pour justifier le refus d’accès aux locaux durant la nuit. En effet, le salarié est à l’origine de divers incidents ayant nécessité l’intervention de la police et des pompiers. L’employeur ajoute que lors de ces interventions, le salarié n’avait pas précisé qu’il souhaitait avoir accès aux locaux de l’entreprise en raison de son mandat de représentation. Enfin, la jurisprudence a dégagé une autre exception liée au caractère confidentiel de certaines zones d’une entreprise[8].
La Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a accueilli l’argument sécuritaire de l’employeur et a prononcé un non-lieu du chef de délit d’entrave à l’exercice des fonctions de délégué du personnel (à savoir : atteinte à la libre circulation). Le salarié a alors formé un pourvoi en cassation. La Haute juridiction censure l’arrêt d’appel en ce que celle-ci n’a pas recherché l’existence réelle d’impératif lié à la sécurité ou à la gêne possible provoquée par le représentant. Il est donc essentiel, pour pouvoir faire jouer les exceptions au principe de liberté de circulation, de détailler et prouver l’existence d’un motif objectif empêchant l’accès aux locaux par le représentant.
En conclusion, le principe est celui de la liberté de circulation du délégué du personnel dans les locaux de l’entreprise. Toutefois, il ne s’agit pas d’une liberté infinie. L’accès doit être rendu possible pour tous les locaux dans lesquels sont affectés des salariés ou dans lesquels ils sont susceptibles de se trouver (réfectoire, salle de pause, parking…), ainsi que pour le local qui lui a été attribué dans le cadre de ses missions. Ces déplacements doivent, en outre, être justifiés par son mandat de représentation. Pour ce qui est de sa mise en œuvre, cette liberté s’exerce en fonction des horaires d’ouverture de l’entreprise. Aussi, si celle-ci dispose d’équipes de jour et de nuit, alors le délégué du personnel doit pouvoir y avoir accès de manière continue. La raison est simple : le délégué du personnel représente tous les salariés, il doit donc pouvoir tous les rencontrer sur le temps et lieu de travail. Trois exceptions peuvent néanmoins venir remettre en cause cette libre circulation : la gêne importante à l’accomplissement du travail des salariés, le motif de la sécurité/santé et celui de la confidentialité des locaux. Ces dernières s’apprécient de manière stricte. Il est donc primordial d’étayer le motif du refus afin que celui-ci ne soit pas qualifié de délit d’entrave à l’exercice régulier des fonctions de délégué du personnel. Un tel comportement engendre en effet des conséquences financières pouvant être lourdes pour les entreprises. La sanction de ce délit a été modifiée par la loi Macron du 06 août 2015[9]. L’article L 2316-1 du code du travail sanctionne le fait de porter ou de tenter de porter atteinte à l’exercice régulier des fonctions du délégué du personnel d’une amende de 7 500€. Par conséquent, s’il n’est pas impossible de limiter l’accès des délégués du personnel à certaines zones de l’entreprise ou à certains horaires, nous ne saurons que trop conseiller aux employeurs de bien justifier et prouver la nécessité du refus de l’accès aux locaux. Le respect de cette règle aura deux vertus. Tout d’abord, elle permettra à l’employeur d’agir de manière pédagogique, ce qui favorisera un climat social apaisé dans l’entreprise. Enfin, la représentation et la défense des intérêts des salariés n’en seront que plus respectées et efficaces.
Bérénice Echelard
Pour en savoir plus :
[1] Il existe également le comité d’entreprise (CE), le Comité d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) et les délégués syndicaux (DS).
[2] Service Public à caractère Industriel et Commercial (à ne pas confondre avec les SPA : Service Public Administratif).
[3] Quelle que soit la durée du contrat ou la durée du temps de travail.
[4] Pour plus de précision : article R-2314-1 du code du travail.
[5] La jurisprudence oppose les réclamations propres aux délégués du personnel aux revendications réservées aux délégués syndicaux.
[6] Article L 2313-1 du code du travail
[7] N° de pourvoi 15-80772
[8] Chambre sociale de la Cour de cassation, arrêt du 09 juillet 2014 (n° pourvoi 13-16151)
[9] Loi n°2015-990. Auparavant ce délit était passible d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3 750€.