Dans deux décisions du 30 mars 2016, la Cour de cassation a renvoyé les Questions Prioritaires de Constitutionnalité (QPC) sur le cumul des sanctions pénales et fiscales dans les affaires Wildenstein et Cahuzac devant le Conseil constitutionnel.
Rappelons qu’à l’ouverture des procès de l’ancien ministre des finances et du marchand d’art en janvier et février 2016, le tribunal correctionnel de Paris avait été saisi d’une demande de transmission d’une QPC portant sur la conformité du cumul des sanctions fiscales et pénales en matière de fraude fiscale (articles 1729 et 1741 du Code Général des Impôts) au regard du principe de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines garanti à l’article 8 de Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (cf. article LPJ du 24 mars 2016).
Dans un premier temps, la Cour de cassation reconnaît la nouveauté de la question posée après l’arrêt EADS du 18 mars 2015 rendu par le Conseil constitutionnel sur le cumul des sanctions en matière de délit d’initié.
Le grief d’atteinte au principe de proportionnalité est cependant écarté, la Cour de cassation estimant la question dépourvue de sérieux au regard de la règle selon laquelle le montant cumulé des sanctions ne peut dépasser la plus élevée des deux.
Vient ensuite l’examen du grief de l’atteinte au principe de nécessité des délits et des peines (non bis in idem).
La Cour procède à une analyse en quatre temps :
- Identité de définition des faits sanctionnés
La Cour relève que l’élément moral est identique et que l’élément matériel du délit de fraude fiscale est plus large que celui du manquement délibéré.
En conséquence, ces deux définitions se recoupent au moins en partie et sont donc susceptibles d’entraîner une double sanction pour des faits identiques.
- Identité de l’objet des sanctions
La Cour tente habillement de ne pas contredire l’interprétation classique qu’elle retenait en rappelant que les poursuites fiscales et pénales « sont, par leur nature et leur objet, différentes et indépendantes l’une de l’autre. »
Néanmoins, elle relève que les sanctions fiscales et pénales poursuivent en réalité « les mêmes objectifs de prévention et de répression de la fraude et de l’évasion fiscales, afin d’assurer l’égalité devant les charges publiques ».
Ayant vocation à s’appliquer à l’ensemble des contribuables, ces deux sanctions sont donc susceptibles de servir les mêmes intérêts sociaux.
La Cour en profite cependant pour ébaucher une distinction :
« même si les pénalités fiscales visent notamment à garantir le recouvrement de l’impôt, tandis que les sanctions pénales répriment l’atteinte à l’égalité qui doit exister entre les citoyens, en raison de leurs facultés, dans la contribution aux charges publiques ».
- Identité de nature des sanctions
La fraude fiscale est sanctionnée par une peine d’emprisonnement assortie une amende relativement faible, tandis que le manquement délibéré peut donner lieu à une majoration fiscale de 40% assise sur le montant de l’impôt éludé.
Bien que semblant bien distinctes de par leurs caractéristiques, la Cour retient plusieurs similitudes entre ces deux sanctions, notamment la possibilité de les adapter à la gravité des manquements, ce qui laisse planer un doute sur leur identité.
- Identité de juridiction
La Cour rappelle que le principe non bis in idem en droit français n’a vocation à s’appliquer qu’aux sanctions prononcées au sein du même ordre de juridiction.
Les affaires Wildenstein et Cahuzac portant sur des impôts ne relevant pas des juridictions administratives (droits de succession et ISF), il y a donc bien dans le cas d’espèce une identité de juridiction pour le prononcé des sanctions fiscales et pénales.
La Cour de cassation conclut ainsi au caractère sérieux des deux QPC, tout en finissant par une formule énigmatique :
« il doit cependant être observé que, bien qu’appartenant au même ordre de juridiction, le juge judiciaire de l’impôt et le juge pénal sont deux juridictions de nature différente, à l’office distinct ; ».
Mis en parallèle avec la proposition de distinction des sanctions par leur objet énoncée plus haut, il semblerait que la Cour de cassation tienne au maintien du cumul, ou tout du moins des sanctions pénales, malgré le fléchissement opéré il y un an dans la décision EADS sous l’effet indirect de la jurisprudence européenne.
Faudrait-il y lire un message adressé au Conseil constitutionnel, qui devra finalement statuer sur ces deux QPC dans un délai de trois mois ?
Nicolas Guilland
Pour en savoir plus :
- Arrêts n° 1736 et n° 2117 du 30 mars 2016 (16-90.001 et 16-90.005) – Cour de cassation – Chambre criminelle
- Site internet de la Cour de cassation -> Jurisprudence -> QPC (classées par texte)
- Articles 1729 et 1741 du Code général des impôts