Les grâces présidentielles comment ça marche ? Jacqueline sauvage

Jacqueline sauvage Le célèbre penseur Alexis de Tocqueville soutenait que, « J’étais convaincu qu’à leur insu ils avaient retenu de l’Ancien régime la plupart des sentiments, des habitudes, des idées même à l’aide desquelles ils avaient conduit la Révolution qui le détruisit et que, sans le vouloir, ils s’étaient servis de ses débris pour construire l’édifice de la société nouvelle »[i]. En effet, nombre de nos régimes constitutionnels sont construits, reconstruits, sur des fondations historiques. Le droit de grâce en est l’illustration par excellence, en raison du fondement divin du pouvoir souverain, le roi par sa grâce, pouvait exempter un sujet de l’exécution de sa peine. Ce droit a connu deux parenthèses d’éviction, des mains du chef de l’Etat dans l’histoire constitutionnelle française, pendant la Révolution française et sous la IVème République.

La résurrection de ce droit dans la Constitution du 4 octobre 1958, outre la démonstration de son caractère synthétique, démontre la volonté des constituants d’instaurer un pouvoir exécutif prépondérant. Ainsi, il serait préférable d’aborder d’une part le statut constitutionnel du droit de grâce. Puis, d’autre part, il serait opportun d’indiquer la procédure préalable avant l’examen présidentiel de la requête. Enfin, un bref état de l’utilisation de ce droit sous la Vème République sera évoqué.

La valeur constitutionnelle du droit de grâce

L’article 17 de la Constitution, réécrit suite à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, met fin à un droit de grâce présidentielle qui était souvent collectif puisqu’il dispose que «Le Président de la République a le droit de faire grâce à titre individuel ». Concrètement, la grâce présidentielle, permet au condamné d’obtenir une dispense totale ou partielle de sa peine. A contrario, conformément à l’article 133-9 du Code pénal, le législateur peut voter une loi d’amnistie, qui a pour effet de faire disparaître le cadre juridique et par conséquent, l’élément matériel de l’infraction.

Le Président de la République examine et répond discrétionnairement à la demande de grâce mais son décret de grâce sera soumis paradoxalement, selon l’article 19 de la Constitution au contreseing du Premier ministre ou de la part du locataire de la place Vendôme.

Depuis l’arrêt du Conseil d’Etat du 30 juin 1893, « Gugel » ce recours, est insensiblement le dernier puisque le décret adopté par le Président de la République est qualifié d’acte de gouvernement, non publié au Journal officiel et est inattaquable devant les juridictions administratives. Mais aussi, d’après l’arrêt de cette même juridiction, datant du 28 mars 1947, « Gombert », c’est un acte concernant l’exécution d’une peine et le juge administratif ne peut se substituer à la compétence du juge judiciaire.

La procédure prévalant l’exercice de la grâce présidentielle

Le condamné, voulant alléger son fardeau susurre son entreprise à l’oreille du garde des sceaux. En réalité, la procédure comporte une particularité, la demande de grâce est adressée par le requérant lui-même, un de ses proches, son avocat, une association habilitée ou le procureur de la République. A priori, elle est étudiée par le Bureau des grâces du ministère de la justice. Par chance, un avis favorable accompagne le projet de grâce jusqu’à l’examen approfondi par le chef de l’Etat. Au final, c’est une procédure nécessitant un formalisme limité, apportant au justiciable la possibilité d’attirer une certaine faveur de la part du garant de la Constitution.

L’usage de la grâce présidentielle sous la Vème République

Tous les Présidents de la Vème République ont usé de cette attention libératoire, seraient-ils tous de grands humanistes ? Cela restera à votre appréciation. De la grâce en 1962, du général Jouhaud, par le général de Gaulle, aux grâces collectives de François Mitterrand, appliquée tous les 14 juillet, en passant par Jacques Chirac, qualifié de « Champion de la grâce présidentielle »[ii], en employant le plus fréquemment ce pouvoir, notamment en l’accordant à Omar Raddad en 1994. A partir de 2008, Nicolas Sarkozy a été un partisan d’un maniement plus modéré à l’égard de cette prérogative, en l’occurrence, en supprimant la possibilité sus exposée d’une grâce collective. Son successeur, s’inscrivant dans un sillage semblable, n’acquiesce que pour la deuxième fois, ce privilège, Jacqueline Sauvage obtenant le 31 janvier dernier, une grâce partielle, sa condamnation à une peine de 10 ans de réclusion criminelle est réduite à 2 ans et 4 mois sans compter la période de sûreté, qui lui restera à purger.  Finalement, cet héritage constitutionnel est désormais considéré comme une coutume républicaine plus ou moins pratiquée n’empêchant pas, de lever à son encontre de vives critiques. Pour certains, il serait une atteinte à la séparation des pouvoirs, anti démocratique, par le non respect de la décision du jury populaire. Cependant, le débat de clocher n’est pour l’heure, non retranscrit dans un projet de réforme constitutionnelle.

 

                                                                                                          Julien Bonnivard

« Pour en savoir plus »

Site internet du Sénat, « Etude de législation comparée n°177, L’amnistie et la grâce », octobre 2007

Auteur inconnu, « Affaire Sauvage : Hollande, se donne le temps de la réflexion », Le Monde, 29 janvier 2016

Alexandre Boudet, « Ces condamnés ont bénéficié de la grâce présidentielle avant Jacqueline Sauvage », Le Huffington Post, 1er février 2016

[i]  Alexis de Tocqueville, « De la démocratie en Amérique », tome 1, 1835

[ii] Auteur inconnu, « Affaire Sauvage : Hollande, se donne le temps de la réflexion », Le Monde, 29 janvier 2016

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