Benjamin Guegau-Herisset, jeune avocat chez FIDAL à Ho Chi Minh Ville, au Vietnam, nous livre son expérience.
Le Petit juriste : Quel est votre parcours universitaire et professionnel ?
Benjamin Guegau-Herisset : Très classique. Originaire de Rennes, j’ai étudié le droit à l’université de Rennes I. En licence 3, j’ai effectué une année en Erasmus à Copenhague. De retour à Rennes pour mon Master 1, j’ai opté pour Carrières judiciaires, avec plusieurs options de droit pénal et une option de droit comparé. Finalement, l’attrait des droits étrangers a été plus fort et c’est dans un Master 2 recherche en droit comparé à Paris II que j’ai terminé mes études universitaires.
Mon mémoire portait sur le droit musulman du statut personnel à Singapour : l’occasion de passer deux mois sur place pour consulter les archives et la jurisprudence, interroger des universitaires, des avocats et des juges au tribunal islamique de Singapour.
Après cela, j’ai trouvé un stage via le site Internet du ministère des Affaires étrangères, pour travailler auprès du magistrat de liaison à l’ambassade de France aux États-Unis. Il s’agissait d’effectuer des recherches comparatives pour la Chancellerie et de suivre l’actualité et les dossiers d’entraide pénale (transfèrement, extradition, commissions rogatoires).
Un peu par désœuvrement, je suis rentré à l’école des avocats. La formation est très médiocre et les stages ne m’ont pas laissé un souvenir impérissable. Finalement, après beaucoup de candidatures, j’ai été sélectionné pour un poste de volontaire international en administration (qui n’est pas du bénévolat) via le site civiweb dans la coopération juridique à Hanoi au Vietnam. Pendant 2 ans, j’ai travaillé au sein du service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade, en partenariat avec les institutions juridiques et judiciaires françaises et vietnamiennes (ministères de la Justice, cours suprêmes, ordres professionnels) et avec des étudiants (cours de droit et de français juridique pour les francophones).
Les contrats de Volontariat international en entreprise (VIE) sont limités à deux années. À la fin de mon contrat, l’opportunité s’est présentée de rejoindre le cabinet FIDAL Asiattorneys à Ho Chi Minh Ville.
LPJ : Comment vous êtes-vous retrouvé chez FIDAL Asiattorneys ?
BGH : Le monde du droit, et en particulier francophone, est assez restreint au Vietnam, quoique dynamique. Je travaillais en lien avec les avocats français installés au Vietnam et j’ai naturellement envoyé mon CV aux cabinets concernés en mettant en avant ma connaissance du contexte juridique et judiciaire local. Un poste, qui correspondait tout à fait à mes envies professionnelles et à mes ambitions, se libérait chez FIDAL. Je l’ai accepté sans hésiter. En fin de compte, je suis retourné au métier d’avocat et j’ai donc prêté serment plus de deux ans après l’obtention du CAPA.
LPJ : Pouvez-vous nous en dire plus sur votre expérience d’avocat français au Vietnam ? Quels types de tâches pratiquez-vous ?
BGH : Ma spécialité est quelque peu unique car, dans ce cabinet de droit des affaires, je travaille principalement sur des dossiers de particuliers, dans les domaines du droit civil et patrimonial. Je conseille des gens en matière de successions (testaments, liquidation de successions), de mariage et de divorce, d’adoption d’enfants, mais également lors d’acquisitions immobilières ou d’investissements personnels qui ne nécessitent pas la création d’une société commerciale (sous la forme de prêts par exemple).
Il faut savoir que de nombreux étrangers sont installés au Vietnam (le nombre est en augmentation constante) et rencontrent des difficultés pour des questions aussi basiques que le mariage, l’achat d’une maison ou la reconnaissance d’actes passés à l’étranger.
Comme le cabinet conseille en majorité des sociétés et des entrepreneurs étrangers installés ou souhaitant s’établir au Vietnam, j’interviens ponctuellement sur les dossiers de droit des affaires également.
LPJ : Avez-vous rencontré des difficultés d’adaptation ? Quelles sont les particularités, s’il y’en a, d’exercice au Vietnam ?
BGH : Sur la vie quotidienne, c’est un peu dépaysant et, en même temps, le Vietnam est un pays désormais bien intégré dans la mondialisation. Il n’y a donc pas de gros inconvénients ni de manques à déplorer sur place, surtout à Ho Chi Minh Ville, qui est une ville dynamique et globalisée.
Sur l’exercice, c’est principalement du conseil, car nous ne sommes pas habilités à intervenir auprès des juridictions et des administrations. Les équipes vietnamiennes se chargent des démarches (par exemple l’enregistrement d’une licence).
Le métier d’avocat au Vietnam, c’est aussi pas mal de communication, de démarchage de clients et de relationnel, hors du bureau.
Enfin, pour peu qu’on le souhaite vraiment, il y a de nombreuses opportunités annexes stimulantes, comme l’enseignement (je suis chargé de TD dans un Master délocalisé de Paris II en partenariat avec l’université d’HCMV) et la participation à des conférences destinées à partager les expériences nationales et à éclairer les autorités vietnamiennes dans leur travail de modernisation juridique (conférences, colloques).
LPJ : On entend souvent parler de mentalité anglo-saxonne dans les milieux professionnels, que pouvez-vous nous dire sur la mentalité asiatique ?
BGH : Pour ma part, je travaille avec des personnes vietnamiennes, et mon opinion ne porte donc que sur cette expérience vietnamienne. En droit vietnamien, la différence entre l’esprit et la lettre de la loi peut varier énormément. Il convient de travailler avec son équipe pour distinguer les situations acceptables des situations bloquantes. Je trouve les « jeunes » avec qui je travaille très dynamiques et pro-actifs dans la recherche de solutions pratiques.
La relation avec les autres professionnels du droit est parfois plus compliquée. Les notaires vietnamiens, par exemple, ne brillent pas par leur créativité juridique et préfèrent coller aux modèles d’actes annexés dans les décrets. Tout l’enjeu est alors de réussir à leur faire accepter des actes plus sophistiqués. Cela nécessite de vraiment discuter et d’argumenter pour défendre les besoins du client.
LPJ : Quels sont, selon vous, les avantages et les inconvénients de pratiquer à l’étranger ?
BGH : L’avantage, si j’en crois mes discussions avec mes amis restés en France, c’est la grande autonomie dont je peux bénéficier ici sur la gestion des dossiers et le champ plus vaste de mes missions, qui vont du conseil juridique à la relation client en passant par la communication.
Le risque, c’est de perdre la rigueur et le sérieux qu’on est en droit d’attendre d’un avocat en France et qui peut découler d’un éloignement prolongé de la tutelle (l’Ordre) et des confrères. Mais l’information est aujourd’hui disponible facilement et nous travaillons beaucoup avec la France. On se doit donc de garder la même exigence juridique et de ne pas tomber dans les arrangements bancals qui sont parfois conclus ici…
LPJ : Quels conseils pouvez-vous donner aux étudiants, ou aux futurs avocats, souhaitant tenter l’expérience à l’étranger ?
BGH : De le faire, tout simplement ! Essayez et voyez si cela vous plaît ou non.
En tant qu’étudiant, Erasmus est un bon point de départ et c’est très facile de partir étudier six mois ou un an grâce à ce programme. Il ne faut pas avoir peur de « rater » une partie du programme en France ou de ne pas connaître le droit étranger…
Sur le plan professionnel, la formation dispensée à la fac en France est excellente et permet de faire face à de nombreuses situations ! Pour le reste, un peu d’ouverture d’esprit (mais cela semble évident) et d’enthousiasme doivent permettre à chacun d’apprécier cette expérience à sa juste valeur.