Comment avez-vous constitué votre équipe ?
Benoît Chabert : Dès l’élection de Pierre-Olivier SUR en 2012, j’avais déclaré ma candidature. Philip Cohen a annoncé la sienne un an plus tard. Au cours d’un déjeuner de courtoisie entre candidats au Bâtonnat, nous nous sommes rendus compte que nos idées sur la profession étaient les mêmes. Nous en venions même à finir les phrases l’un de l’autre.
Nous venons d’horizons différents, mais nous partageons l’objectif de réunir le Barreau.
Quel bilan retenez-vous du mandat de Pierre Olivier Sur ?
B.C. : POS a été un bon avocat des avocats. Il a soutenu activement la défense des principes de la profession et du secret professionnel. En ce sens, nous nous inscrivons dans sa continuité.
Je critiquerai d’avantage l’opposition qui a été faite au CNB sur la loi MACRON, il s’agissait d’un mauvais choix politique. Le Bâtonnier a privilégié le dialogue avec le ministère des Finances au lieu de le faire avec notre ministre de tutelle. Ce choix s’est avéré désastreux au regard de l’image de la profession et du respect du Barreau.
Philip Cohen : Le bilan de POS est contrasté. Il y a eu d’excellentes choses sur les libertés et des initiatives internationales réelles.
La profusion des campus internationaux n’était pas une mauvaise idée, mais elle n’a malheureusement pas été comprise par les avocats et donnait l’impression qu’elle ne concernait qu’une partie du Barreau.
En revanche, le choix initial conflictuel de ne pas siéger au CNB dans l’attente de la réforme de sa gouvernance a marqué la suite, surtout dans la mesure où un accord venait d’être trouvé en consensus le mois précédant sa prise de fonction.
Quels sont les points saillants de votre programme ?
B.C. : Justement, pour Réunir le Barreau, notre idée phare est de réaliser la Maison du Barreau Numérique, plateforme sécurisée et gratuite. L’objectif est de permettre la transparence de l’Ordre et en garantissant son lien avec les avocats et en même temps de resserrer les liens entre les avocats.
Par exemple, il serait souhaitable de permettre une formation continue gratuite par des MOOC et des vidéos des commissions ouvertes. Au-delà, pourraient être mis en place des groupes de discussion sécurisés et plus ciblés. L’idée d’une « salle des pas perdus » numérique pourrait rétablir le lien qui fait aujourd’hui défaut dans notre Barreau.
Nous avons réfléchi à trois axes importants : transparence, égalité, respect.
L’objectif d’égalité doit nous conduire à mettre en place un Ordre efficace pour que tous les avocats, quel que soit leur métier, s’y reconnaissent. Le ressenti des avocats est négatif. L’Ordre doit être réellement au service de tous les métiers. Il n’est pas normal que ceux qui travaillent à Paris ne consultent pas les avocats parisiens, parce qu’ils les considèrent inaccessibles et chers. Le Barreau est parfois déconnecté de la réalité de ses clients, de l’image qu’il donne. C’est pour cela qu’il appartient à l’Ordre d’organiser et de communiquer régulièrement sur des évènements « cabinets ouverts » à Paris.
Enfin, nous allons redonner une image positive de la commission d’office en matière pénale. Aujourd’hui un justiciable placé en garde à vue et qui sollicite un avocat d’office, peut en voir jusqu’à quatre différents avant la fin de la procédure. Cela dévalorise la mission de l’avocat tant aux yeux des pouvoirs publics que des clients. Nous allons modifier la règle en posant comme principe que l’avocat commis d’office suit son client jusqu’à la fin de la procédure.
P.C. : Réunifier la profession, c’est évidemment notre objectif.
Notre seul devoir est de mettre le Barreau de Paris au service et au sein de toute la profession. Nous devons rétablir un lobbying de la profession. Il faut bien comprendre que les cabinets, quels qu’ils soient, ne peuvent se développer si la profession ne donne pas une image dynamique. Il nous faut restaurer notre image et la marque avocat de ce point de vue.
La Maison du Barreau Numérique va nous conduire à repenser notre communication vis-à-vis des avocats parisiens, le Bulletin du Barreau n’est ouvert que par 17 % des avocats ! Nous devons impliquer les avocats sur les enjeux de la profession. Nous devons mieux communiquer, pas seulement par des réunions physiques, puisqu’aujourd’hui le meilleur vecteur est le numérique.
Par ailleurs, le disciplinaire est public, mais tout le reste est secret. Nous voulons libérer la parole des membres du Conseil de l’Ordre, redonner à ce dernier la souveraineté qui est la sienne et qui seule permet d’inscrire l’action de l’Ordre dans la durée.
Nous voulons remettre l’Ordre au service des avocats et du développement de leurs cabinets notamment par la mise en œuvre d’une série d’initiatives financières pour les jeunes avocats. Ces incitations financières ne peuvent se limiter à l’exonération de cotisations pour ceux qui gagnent moins de 3 000 euros par mois, plus de 7000 avocats quand même, mais doivent avoir un sens, donner des orientations : favoriser l’installation, l’intégration des collaborateurs comme associés, l’exercice en groupe notamment.
Par ailleurs, nous devons réussir l’égalité femmes-hommes qui est un enjeu pour toute la profession. Nous insérerons un chapitre spécifique Egalite-diversité dans le RIB. Sur les ruptures de contrats, nous désirons que les règles déontologiques après congés paternité et maternité soient totalement respectées notamment en organisant une passerelle automatique entre commission des difficultés et poursuites disciplinaires. L’idée phare serait la création d’un label Egalité spécifique et réévaluable pour les cabinets d’avocats.
Enfin, nous souhaitons rehausser les exigences de qualité concernant l’accès à la profession et la formation.
Quels sont vos projets pour l’intégration des jeunes confrères dans la profession ?
B.C. : L’entrée dans notre profession est à la fois captivante et inquiétante. Captivante car cette profession libérale offre tous les choix du possible et inquiétante justement en raison du caractère libéral de nos métiers. Durant la campagne nous sommes émerveillés par les réussites de certains jeunes avocats et par le dynamisme de la profession. Néanmoins, nous devons améliorer l’intégration des jeunes confrères par une simplification de l’assurance collaboration et une incitation financière à l’installation ou à l’intégration des collaborateurs comme associés.
P.C. : L’école forme des avocats, mais aussi des juristes d’entreprise. Or, nous avons tendance à tout raisonner sur le schéma unique de la collaboration. Il y a de nombreuses initiatives à explorer, comme la remise en place de sous-locations contre vacations. On doit également faciliter les collaborations ponctuelles, la sous-traitance de dossiers, élargir la « gamme » des collaborations possibles. Il pourra aussi être mis en place un système d’évaluation des cabinets et des collaborateurs qui participent à ces plateformes d’échanges.
Quelle est votre opinion sur la formation des élèves avocats ?
B.C. : L’école doit être avant tout une école de pratiques professionnelles formant l’élève avocat à son futur exercice : déontologie, pratique procédurale et technique juridique, formation du futur professionnel libéral à l’esprit d’entreprise.
Un IEJ du Barreau, pourquoi pas ? Les élèves avocats doivent être écoutés et non pas « fliqués ».
P.C. : J’ai vu les changements récents à l’EFB de façon assez négative, le choix d’un nouveau directeur, ancien directeur d’HEC, et les différentes initiatives ont montré une action d’avantage tournée vers l’image extérieure de cette école sans que ne soit mis en place un véritable projet intérieur.
Il faut repenser l’école sur les questions relatives aux pratiques professionnelles. Se demander quels sont les projets des élèves. L’école doit surtout unifier dans l’esprit des élèves la façon dont le métier se définit. Il faut des éléments de langage communs aux professeurs. Par ailleurs, au lieu de créer des badges ou de faire signer les élèves à l’entrée des cours pour imposer un présentiel, il aurait mieux valu s’interroger sur la démotivation des élèves. Cette école ne peut pas être organisée chaque année en fonction du nombre d’élèves qui ne cesse d’augmenter et les questions devraient plutôt concerner la gestion des flux en termes de qualité sans numerus clausus.
Vous comptez mettre en place un système de lanceurs d’alertes. Quelle en sera l’utilité ?
B.C. : Non, il ne s’agit évidemment pas de favoriser les dénonciations, mais l’Ordre doit être à l’écoute des avocats qui constatent, dans l’exercice quotidien de leur profession des disfonctionnements.
Faut-il repenser le statut des collaborateurs libéraux ?
B.C. : Nous sommes attachés au caractère libéral de la profession. Etre avocat est un métier à risque, il faut en avoir conscience. Il faut du respect. Un collaborateur a le même titre que son « patron » : avocat.
Nous voulons que la voix de l’UJA soit utile : elle doit continuer à porter la parole des jeunes avocats.
Il faut cependant protéger les jeunes collaborateurs des excès de leurs « patrons ». Un « patron » —car il s’agit bien d’un « patron »— trahit son serment lorsqu’il fait preuve d’indélicatesse. Le harcèlement moral ou des ruptures de contrat de collaboration peuvent entraîner des sanctions disciplinaires.
A ce sujet, nous mettrons en place un fond de soutien pour permettre aux collaborateurs d’être indemnisés sans avoir à subir une pression liant l’indemnisation par l’avocat employeur à l’absence de poursuite disciplinaire.
Si vous deviez dîner avec une personnalité : avec qui et ou l’organiseriez-vous ?
B.C. : Ce serait sans doute un pique-nique au bord d’une rivière en compagnie de Simone Veil. Son sens de l’engagement pour le droit des femmes, et la façon dont elle a été seule contre tous m’impressionnent. Elle a été courageuse dans la vérité.
P.C. : Ce serait avec Christiane Taubira, mais pour parler de jazz. Ce serait sans doute dans une boîte de jazz, d’ailleurs. C’est également une femme courageuse. Elle est capable de tout entendre, a une forte capacité d’écoute dans le respect et elle sait attendre pour répondre.
Olivia Ronen et Charles Ohlgusser