Pourquoi avez-vous décidé de vous rejoindre pour cette campagne ?
Nicolas Leregle : D’abord, nous nous entendons bien. Ensuite, nous étions dans une logique de parité, pas simplement marketing : le barreau est aujourd’hui lui-même paritaire. Enfin, nous sommes dans une logique d’égalité. Pour faire un test, on n’a pas annoncé qui serait Bâtonnier et, naturellement, les gens ont cru que ce serait moi…
Nathalie Attias : Ce qui m’exècre, ce sont les binômes d’opportunité. Systématiquement, on nous présente des binômes homme/femme, avec la femme Vice-bâtonnier, uniquement pour drainer les voix des femmes. Il y a aujourd’hui au moins deux binômes que je veux dénoncer, des binômes d’opportunité. Ils n’ont rien à voir et, une fois au pouvoir, on l’a vu avec Feral-Schuhl et Y. Martinet, ainsi que Sur et L. Martinet : le Vice-bâtonnier est hypertrophié. Pourtant, le Bâtonnier ne peut pas tout faire.
Nous avons une vision entrepreneuriale du barreau: le Bâtonnier sera chargé de la représentation et le Vice-bâtonnier de traiter les affaires courantes.
NL : Pour éviter les écueils des précédentes mandatures —notamment le vœux de devenir Calife à la place du Calife—, nous allons établir clairement le rôle de chacun et nous avons décidé d’inverser les rôles au bout d’un an.
C’est Nathalie qui prendra en premier la place de Bâtonnier.
NA : Nous menons ensemble la campagne car nous nous entendons bien, mais avec une exigence d’égalité. Cela fait trois ans que nous travaillons ensemble. Nous sommes complémentaires. Nous avons une approche très pragmatique.
Nicolas a été directeur de l’immobilier en entreprise, journaliste.
Pour ma part, j’envisage aussi la relation avec le client de manière très pragmatique : personne ne connaît mieux son dossier que le client, l’avocat a pour tache de faciliter la prise de décision.
NL : Notre force est notre parcours atypique.
Quel bilan tirez-vous des années POS ?
NL : Il a un bilan : c’est son passif !
Le vrai seul bilan qu’on peut tirer, c’est que POS a raccourci le mandat du Bâtonnier à 15 mois, son mandat ayant pris fin le 17 mars lors de la candidature de Laurent Martinet.
Mis à part faire sa communication personnelle —qu’il a très bien faite, modifier les règles du jeu (par exemple, le dauphinat), ou encore placer ses amis à la tête des Commissions et aux postes d’enseignants de l’EFB, il n’a pas de bilan.
NA : Le barreau n’a jamais été aussi affaibli. Il suffit de regarder ce qu’il s’est passé avec la loi Macron : le barreau est désuni et aujourd’hui, c’est le CNB qui négocie alors que nous représentons la moitié des avocats de France. Le bilan est vraiment négatif.
Quels sont les points saillants de votre programme ?
NL : Nous nous sommes posé une question : de quoi a-t-on besoin ?
NA : A la différence des autres candidats, nous ne proposons pas de mesure « populiste » comme la baisse des cotisations ou les caméras dans les salles du Conseil, ça n ‘a pas de sens.
Notre approches est entrepreneuriale : si on peut baisser les cotisations, il est évident qu’on le fera, mais nous refusons le populisme !
Nous avons un programme en onze points avec deux axes : la question de la gouvernance et la question de l’activité. Les deux points importants sont la relation avec les experts-comptables et la création d’un centre de documentation.
NL : J’entends beaucoup dire que notre profession est gravement concurrencée par les experts-comptables qui font du droit. Je considère que l’avocat se doit de faire du chiffre : nous voulons créer une ANAAFA pour les clients des avocats qui fera de la comptabilité sans prestation juridique. Nous labelliserons également les cabinets d’experts-comptables qui s’engagent à ne pas effectuer de prestation juridique.
Le centre de documentation devrait permettre à ceux qui exercent en individuel de bénéficier de la même information qu’un grand cabinet.
NA : Vous savez à quel point cela coûte cher : la responsabilité professionnelle est très importante.
En droit du travail, par exemple, nous avons des modifications quotidiennes de jurisprudence. Si nous ne sommes pas en mesure de donner au client la réponse correcte, la responsabilité peut être engagée.
Nous voulons mutualiser la documentation pour qu’elle soit moins chère et de qualité, à travers un centre de documentation. Si possible, nous pourrons employer des salariés qui fournissent des recherches en jurisprudence, comme cela se faisait il y a vingt ans avec le CEDIA.
NL : Certains candidats m’ont appelé pour me dire que c’est une bonne idée, qu’ils la reprendraient…
Avez-vous des projets pour faciliter l’intégration des jeunes dans la profession ?
NL : Il y a beaucoup d’avocats qui ont du mal à partir à la retraite, notamment parce qu’il n’y a pas de fonds de commerce.
Ce que nous proposons, c’est de caser deux ou trois jeunes qui vont pouvoir faire leurs stages et signer une collaboration, pour capitaliser dans le cabinet et bénéficier d’une option d’achat qu’ils auront aidé à construire.
Cela permettra également aux avocats en fin de carrière de pouvoir partir plus sereinement à la retraite, en confiant sa clientèle fidèle à des confrères qu’il connaît et qui connaissent ceux-ci.
Je préfère qu’il y ait mille jeunes qui trouvent comme cela du travail, plutôt que de les envoyer faire des stages en Inde. Nous voulons que les jeunes restent en France.
Avez-vous des projets pour l’EFB ?
NL : La réforme de l’EFB, c’est le rôle du CNB. Pour ma part, ma mission est de m’assurer que tous ceux qui sortent de l’école trouvent du travail.
L’EFB est là pour compléter la formation de l’avocat en apprenant à ses étudiants à gérer un cabinet, suivre un dossier et plaider. On doit aussi y apprendre les règles d’éthique et de déontologie.
Le rôle du Bâtonnier et du Vice-bâtonnier est de s’assurer que l’enseignement est de qualité et qu’il est adéquat, en complétant la formation théorique par une formation pragmatique.
Ce que nous voulons particulièrement intégrer à la formation, c’est l’enseignement des nouveaux métiers de l’avocat (fiduciaire, agent sportif…) à travers des cours bien plus complets que ce qui existe actuellement.
Quel est, selon vous, le rôle du Bâtonnier dans la défense de la profession et/ou des justiciables ?
NL : Le Bâtonnier est avant tout le défenseur des avocats. Ès qualité, il est aussi la « vigie des libertés », comme le disait Feral-Schuhl.
L’avocat est aux prises avec le monde réel : nous ne pouvons pas nous limiter à nous offusquer « cette loi est liberticide » sans étudier le contexte dans lequel nous évoluons. Il y a vingt ans, il n’y avait pas de conflit ou de danger sécuritaire aussi prégnant, il y avait le combat contre la peine de mort. Dans les années 1980, il y a eu un terrorisme un peu particulier qui s’attaquait aux symboles du pouvoir.
Aujourd’hui, le contexte géopolitique est radicalement différent. Par exemple, sur la loi renseignements, il y a des garde-fous à introduire, mais on ne peut pas avoir un discours trop simpliste. En tant qu’avocat, nous sommes aussi bien amenés à défendre celui qui pose la bombe que les victimes de celle-ci. Le système doit garantir les libertés fondamentales mais la loi doit aussi garantir la sécurité.
Les lois peuvent sembler excessives, mais la menace n’est plus la même.
NA : La loi renseignements doit garantir le contrôle de l’autorité judiciaire. Toutefois, cette loi est bien indispensable.
Le jour de l’affaire Ricci, nous n’avons eu droit qu’à des éditos sur la loi renseignements. Pourtant, cette affaire a de graves conséquences sur l’exercice de la profession sur le rôle de conseil de l’avocat.
Les libertés publiques ne doivent pas monopoliser le discours du Bâtonnier, nous sommes là pour garantir efficacement la défense de nos clients.
Nous assumons notre corporatisme : nous avons un beau métier et il faut le défendre.
Quelle est votre position sur la loi Macron ?
NA : La loi Macron est un ramassis de dispositions écrites sur un coin de table. Il y a des dynamiques intéressantes, mais elle s’inscrit dans la veine de la plupart des lois qui sont en cours d’élaboration au gouvernement : textes dont n’a pas mesuré les conséquences économiques. La réforme territoriale, par exemple, est inapplicable.
En particulier, sur la réforme prud’homale : le Conseil de prud’hommes va être réformé en profondeur par la loi Macron. Aujourd’hui, nous sommes jugés par ceux qui nous comprennent (employés et patrons). La loi Macron entend faire intervenir le juge professionnel plus souvent, faire juger les affaires simples devant deux juges et diminuer les délais. Le juge professionnel, pourtant, n’écoute pas l’avocat dans ce type de juridiction, notamment à la Cour d’appel.
NL : Nous pouvons regretter l’absence de la consécration du secret des affaires.
NA : Oui, nous sommes aussi contre le statut de l’avocat en entreprise.
Vous semblez beaucoup aimer La Fontaine… (V. le site des candidats)
NL : Nous aimons aussi Claude François.
Mais je vais vous dire pourquoi La Fontaine. D’abord, c’est très facile à retenir. Ensuite, La Fontaine a été en son temps l’écrivain le plus courageux qui soit, lorsqu’il a défendu Fouquet, arrêté par Louis XIV. Il a été le seul avocat de ce dernier.
C’est un auteur décalé, avec des convictions très fortes et qui, dans un siècle d’absolutisme, défendre les victimes de l’obscurantisme.
Cindy Josseran et Antonin Péchard (dir.)