Dans le domaine du droit des affaires, les diplômés ayant fait une prestigieuse école de commerce en plus d’un cursus en droit sont très convoités pour des postes de juristes d’entreprises ou d’avocats d’affaires. On ne recherchait pourtant jusqu’à présent que des profils strictement juridiques pour ce type de métier. Comment expliquer cette tendance ?
Une compétence nouvellement recherchée
En tout état de cause, le juriste est avant tout un excellent théoricien du droit dont la formation doit rester juridique pour l’essentiel. Cependant l’évolution du monde des affaires a changé le statu quo dans les professions juridiques : la connaissance du management et de la gestion par les juristes est désormais très appréciée des recruteurs. Il suffit d’examiner les offres d’emploi pour se rendre compte de l’attractivité d’un double parcours mêlant enseignements de droit et des matières non-juridiques. Le recruteur se sent alors plus en confiance face à un juriste ayant conscience des problématiques business.
Nous parlons ici d’un minimum de connaissances en management, en gestion mais aussi en marketing, finance, comptabilité, négociation, ressources humaines, etc. Véritable atout sur un CV, un tel cursus sera parfois idéal pour se démarquer sur un marché du travail très concurrentiel. L’un des associés d’EY cabinet d’avocats considère d’ailleurs que la principale difficulté rencontrée par les étudiants d’HEC dans la quête de leur premier emploi est de parvenir à choisir parmi la foule de cabinets prêts à les recruter.
Une compétence nécessaire pour les “cadres juridiques”
Le management est nécessaire pour permettre au juriste d’encadrer lui-même d’autres personnes, car il peut potentiellement se trouver en haut de la hiérarchie. Faire intervenir un acteur extérieur au monde juridique pour qu’il vienne diriger un pôle juridique dans une entreprise ou un cabinet d’avocats est difficilement concevable.
Dans un “gros” cabinet, un avocat confirmé, senior est généralement chargé d’encadrer les juniors. Une mission qui ne sera menée à bien que s’il détient les bases du management (juridique de préférence). Il a été largement démontré qu’un meilleur encadrement des équipes permet d’améliorer la synergie collective et donc la productivité. Or, on note des lacunes dans le management de certains cabinets d’avocats : des collaborateurs se plaignent d’être seuls dans leur travail alors que leur évaluation annuelle est peu approfondie. Leurs supérieurs ne sont pas formés au management. Il leur est donc difficile de mettre en place un plan stratégique sans y être formés. Aussi, peu d’avocats mettent en place de véritables plans managériaux. Est-ce la raison pour laquelle après 5 ans d’exercice près de 50% des jeunes avocats quittent la robe ?
Au sein des entreprises, les choses sont maintenant plus structurées. Les juristes d’entreprises travaillent, dans la plupart des cas, sous les ordres d’un directeur juridique qui est un véritable manager du droit. Il rend des comptes sur la gestion du département, comme tout autre directeur, et tente d’en optimiser la gestion. Des compétences qui, comme le management, n’étaient pas attendues des professionnels du droit auparavant sont maintenant exigées.
Mieux comprendre l’entreprise
Le management et la gestion permettent de comprendre l’entreprise dans son ensemble. Rester dans la théorie juridique pure sans connaître les besoins pratiques de l’entreprise est une erreur, cela ne fait qu’éloigner le conseiller juridique de son client. Une situation nuisible à un bon dialogue : mieux comprendre l’entreprise permet à l’inverse de mieux communiquer avec elle. Le juriste ou l’avocat a précisément pour tâche de faire comprendre le droit à son interlocuteur, matière complexe pour les non-initiés. Pour les jeunes juristes, il n’est parfois pas aisé de trouver sa place en entreprise. Savoir communiquer avec les autres départements fait partie des compétences indispensables pour évoluer dans une entreprise. Il ne faut pas oublier que les interlocuteurs premiers des juristes, l’équipe marketing, finance et commerciale généralement, doivent être considérés comme des clients internes. Dans certaines entreprises ces derniers iront même jusqu’à évaluer leurs collègues du juridique. Cette évaluation conduit souvent à l’intégration ou l’externalisation de compétences juridiques supplémentaires. Il y a donc un vrai enjeu.
Le professionnel du droit doit avoir ainsi connaissance de la culture d’entreprise et connaitre les bases du management, mais aussi intégrer des problématiques diverses : l’organisation administrative de l’entreprise, sa stratégie de communication… Cela s’apprend tous les jours. Le juriste d’entreprise pourra alors mieux appréhender les autres services de la société, mieux collaborer. Pour un avocat d’affaires, connaître le management et la gestion équivaut tout simplement à mieux comprendre l’entreprise, sa cliente, dans sa complexité et ses enjeux.
Un enjeu stratégique
Comprendre le management et la gestion est aussi un enjeu stratégique. Comme le note le professeur Duval-Hamel, le rôle du professionnel du droit des affaires a bien évolué : il n’est plus seulement consulté lorsque le problème a surgi, mais conseille maintenant à titre préventif et est associé aux décisions stratégiques {1}.
Être au fait d’autres aspects de l’entreprise comme le management et la gestion permet d’appréhender de manière globale les problématiques qu’elle rencontre. Pour le professionnel du droit, cela permet d’avoir une vision complète et d’articuler des solutions juridiques dans une stratégie d’entreprise. Le juriste ne doit donc pas se borner à donner une simple réponse juridique à la question posée d’autant que bientôt les programmes informatiques seront en mesure de le faire sans l’aide de l’Homme. La valeur ajoutée du professionnel du droit sera d’aider une entreprise à s’orienter et à prendre des décisions globales. Actuellement en France, les juristes d’entreprise sont très peu intégrés dans les choix stratégiques de l’entreprise. Ce n’est pas le cas dans les pays anglo-saxons. En valorisant leur capacité à dispenser des conseils stratégiques, les juristes seront naturellement intégrés aux directions générales des entreprises. On remarque tout de même que le directeur juridique est aujourd’hui de plus en plus associé aux conseils d’administration ce qui montre bien qu’au fil des années, les directions ont pris conscience de l’intérêt du juridique dans une politique de développement. Il s’agit là d’une opportunité à ne pas laisser passer.
Des doubles formations droit-management/ gestion plébiscitées
La conséquence de tout cela est évidemment que les doubles formations en droit et management sont très plébiscitées. Ces formations sont très variées. Certains étudiants réalisent un cycle complet en grande école de commerce avec des enseignements juridiques puis finalisent leurs formations par des masters juridiques classiques. D’autres font des doubles parcours en faculté de droit et d’économie-gestion. Il existe aussi des Masters et MBAs en école de commerce ou en université qui proposent cette bi-disciplinarité, notamment pour les professionnels.
Cependant il n’est pas indispensable d’avoir suivi des enseignements approfondis de management-gestion pour changer sa pratique du droit. L’avocat d’affaires ou le juriste d’entreprise a tout intérêt à être créatif et à prendre en compte des aspects qui ne sont pas purement juridiques dans son conseil. C’est cela l’avenir des professionnels du droit des affaires : des juristes ouverts sur les autres secteurs de l’entreprise, capables d’innover avec des solutions juridiques à portée stratégique.
Hugo Bettahar
- SMBG.fr -> Classement 2015 -> Classement droit des affaires et management -> Interview du Pr Duval Hamel.